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sa signature et le déclara sans détour ; aussitôt le greffier replaça l’écrit sur la table. Les magistrats, sur le moment, ne firent nul commentaire ; mais aux questions qu’ils lui posèrent bientôt, la méfiance du duc s’éveilla. Se levant brusquement, il allongea le bras, se saisit du pouvoir, pour l’examiner de plus près. Ce qu’il vit au premier coup d’œil le pétrifia d’étonnement : dans « le blanc » qui restait entre la date et la signature, une phrase était intercalée, écrite « d’une autre main et d’une encre plus blanche, » une phrase si visiblement ajoutée que les mots chevauchaient sur la ligne finale et sur le nom de Luxembourg. On y lisait l’injonction à Bonnard de faire « toutes les conjurations nécessaires » au gain du procès engagé, et la « donation à Satan, » pour réaliser cet objet.

Ce qui suivit cette découverte, l’indignation de l’accusé, les reproches qu’il fit à ses juges, on se le représente sans peine. Il termina sa philippique en réclamant « qu’on allât quérir un expert, » à l’opinion duquel il déclara se rapporter d’avance. Sans répondre, Bezons fit un signe au greffier, qui sortit de la chambre et rentra peu d’instans après. Un homme l’accompagnait, un homme à l’aspect misérable, pâle, amaigri, la barbe longue et hérissée, si changé que le maréchal eut peine à le reconnaître. C’était Bonnard, réduit à cet état par six semaines du régime de Vincennes. Il roulait des yeux effarés et semblait frappé d’hébétement. Sans regarder les commissaires, il alla droit au maréchal, lui fit une révérence profonde. Le duc l’apostropha d’abord avec une certaine violence : « Oserez-vous bien, lui cria-t-il, soutenir vos dires et m’accuser en face ? » L’intendant protesta : « Moi, vous accuser ! Je ne l’ai point fait, et je ne saurais le faire… Je l’ai dit à M. De La Reynie dès que je fus mis à Vincennes. » — « En cet endroit, rapporte Luxembourg, M. De Bezons le menaça du doigt, et lui commanda de se taire. » Mais, bravant les défenses réitérées des magistrats, le maréchal prit alors la parole : s’adressant au témoin, il reprit tour à tour les divers chefs d’accusation : — conjurations, messes noires, pactes, poison, fabrication de fausse monnaie, — demandant chaque fois à Bonnard si, dans tous ces méfaits, il avait eu son maître pour complice, et recevant chaque fois une réponse négative. A la fin de cette scène l’intendant, confus, accablé,. « tomba aux pieds » du prisonnier, le conjurant avec sanglots de lui pardonner les tourmens dont il avait été la cause. « Je vis