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circulaient dans Paris, sous ce titre alléchant : Consécration du maréchal de Luxembourg entre les mains du diable. « L’on y marque, écrit le P. Talon[1], le temps où se fit ce sacrifice, le lieu et les autres circonstances de cette belle action, avec les clauses en vingt-huit points du pacte avec l’Esprit. » Il existe encore aujourd’hui quelques spécimens de cette pièce, qui fut traduite dans toutes les langues, et répandue à profusion chez toutes les nations de l’Europe. Pierre Bayle[2], à cette même heure, retiré dans la ville de Rouen, lançait sous un nom supposé une « harangue en quatre points, » où Luxembourg était censé plaider lui-même sa cause et justifier par des raisons burlesques son traité satanique ; puis, sous un autre nom, Bayle publiait, quinze jours plus tard, une critique de ce même discours, « encore plus satirique que la satire elle-même[3]. » Quoique ce procédé parût peu généreux envers un homme emprisonné, sous le coup d’une peine capitale, ces libelles, où l’auteur donnait un libre cours aux rancunes protestantes, eurent un grand succès de lecture et firent sensation dans Paris. On se les arrachait dans les salons et dans les ruelles.

L’opinion néanmoins n’en était pas influencée. Les lenteurs de l’information valaient aux magistrats une juste impopularité : « On se lasse furieusement de leurs procédures ; on n’a jamais vu des lenteurs si extraordinaires ! » s’écrie le gazetier de Bruxelles. La Reynie notamment voyait, de jour en jour, se former et grossir un mouvement contre lui : « Il me semble, mande M. De Gourville à Condé[4], que M. De La Reynie ne s’acquiert pas, en tout cela, la réputation qu’il avait pu espérer. » Feuquières déblatère contre lui avec une curieuse véhémence : « C’est, dit-il, un fol enragé, » mais, malgré sa fureur « de ne point trouver de criminels dans tout le vacarme qu’il a fait, il aura bien de la peine à faire prendre des résolutions à la Chambre. » Mme de Sévigné, — qui, dans sa légèreté charmante, dit successivement blanc ou noir selon les impressions du jour, — renchérira bientôt sur ce sévère langage : « La réputation de M. De La Reynie est abominable… Sa vie justifie qu’il n’y a point

  1. Lettre à Condé, du 27 avril. Archives de Chantilly.
  2. Né en 1647, mort en 1706. C’est l’auteur du célèbre Dictionnaire historique et critique.
  3. Vie de Bayle, par Desmaizeaux. Les deux pièces parurent en avril 1680.
  4. 27 avril. Archives de Chantilly.