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deux de retour. Le maréchal, en attendant, devrait être l’objet d’une surveillance de plus en plus sévère. Sa garde fut doublée, et le major de la Bastille eut la consigne de coucher dans la même tour que l’accusé et vis-à-vis sa porte[1]. Il semblait que l’on redoutât quelque tentative d’évasion. Lorsque, aux approches de Pâques, Luxembourg insista pour voir un confesseur, la chose parut si grave qu’on crut devoir en référer au Roi. L’autorisation fut donnée à titre exceptionnel, et Louvois écrivit au gouverneur de la Bastille pour spécifier que Bourdaloue ne serait admis qu’une seule fois près de son pénitent. « Permission à M. De Luxembourg de se confesser au Père Bourdaloue, qui demeurera le temps qu’il voudra avec ce prisonnier ; après quoi, ne plus laisser entrer le Père Bourdaloue, jusqu’à autre ordre de Sa Majesté[2]. »

Que l’édifiante requête du maréchal cachât quelque désir secret de se faire mieux voir en haut lieu, dans une Cour où perçait déjà l’influence religieuse de Mme de Maintenon, l’affirmer ou le nier serait également téméraire. Il semble certain, en tout cas, que le séjour de la Bastille ait ramené le sceptique et le « libertin » d’autrefois vers des pensées sérieuses, réveillé quelque chose en lui de la vieille foi de son enfance. Nous l’avons vu déjà, le jour de son arrestation, s’agenouiller au pied de l’autel ; maintenant, dans sa cellule, il lit l’Imitation, la Vie des Saints, d’autres livres de dévotion. Il fait « tout son carême » avec une rigueur scrupuleuse. « Il paraît bien converti, » écrit La Rivière à Bussy. Et si l’on s’étonnait qu’une fois hors des cachots, il soit vite retombé, comme le constate le Père La Rue[3], dans « tous ses égaremens » passés, ne serait-ce point ici le lieu de répéter la phrase de Mme de Motte ville à propos d’un cas analogue : « Le duc de Beaufort avait vécu dévotement dans sa prison, car c’est l’ordinaire des hommes de chercher Dieu dans le malheur, et de l’oublier dans la prospérité[4]. »

Dévot ou non, une aussi longue épreuve agissait fortement sur le moral du prisonnier, aussi bien que sur sa santé. « M. De Bézemaux, écrit un correspondant de Condé[5], a dit à l’un de

  1. Lettres de M. Brayer à M. De Mazauges. Archives de la Bastille.
  2. Louvois à Bézemaux, mars 1680. Archives de la Bastille.
  3. Oraison funèbre du Maréchal de Luxembourg.
  4. Mémoires de Mme de Motteville.
  5. M. De Mondion à Condé, 7 avril. Archives de Chantilly.