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de tout dire, et cette révélation consiste à répéter encore qu’elle n’a rien vu, rien entendu, qu’elle ne connaît rien de la scène entre Luxembourg et Lesage[1]. De guerre lasse, après trois séances, les deux magistrats renoncèrent à la tourmenter davantage. On l’oublia dans sa prison ; ce ne fut que seize mois plus tard que l’on s’avisa par hasard de la remettre en liberté[2].

Quinze jours après « la du Fontet, » vint le tour de Montemayor. L’accusation comptait beaucoup sur lui, comme sur le confident du duc en « toutes les choses de la magie. » L’ayant filé longtemps sans résultat, l’exempt Desgrez[3]fut le cueillir à son logis, le 10 février, à cinq heures et demie du matin. « Il n’était pas levé, mande l’exempt à Louvois ; je suis entré et je l’ai arrêté. Comme il s’habillait, il a tiré de sa poche deux ou trois lingots, que je crois d’étain, qu’il dit avoir fondus hier au soir, pour faire une épreuve… Je m’en suis saisi et, après qu’il a été habillé, je l’ai fouillé et lui ai trouvé bien des petits paquets de poudre. Entre autres, il y en a un qu’il dit être un sel de buglose, de cerfeuil, de pimprenelle et de bourrache ; mais je crois, Monseigneur, que c’est tout autre chose. Dans son cabinet, je lui ai trouvé une cassette où il y a une quantité de drogues et d’esprit de mercure, qui est un dangereux poison, lesquels j’ai scellés avec une quantité de papiers, et ai tout porté à Vincennes. » L’arrestation de ce touche personnage alarma fort, les premiers temps, les partisans du maréchal. « Je suis fâché, écrit le grand Condé[4], qu’on ait arrêté Montemayor, parce qu’il est à craindre qu’il ne dise quelque chose de mal à propos contre M. De Luxembourg. Vous me ferez plaisir de me faire savoir les choses sur lesquelles on l’interrogera, et les réponses qu’il y fera. » La crainte des uns, l’espoir des autres, furent également trompés. Montemayor, devant les commissaires, déploya de grandes attitudes, fit parade de sa science, étala ses belles relations, mais ne dit pas un mot contre le maréchal. Il n’en fut pas moins condamné, pour magie et pour maléfices, à la réclusion perpétuelle ; on le retrouve dix ans plus tard, au fort de Salces, dans le Roussillon, toujours hâbleur,

  1. Interrogatoire des 28 janvier et 12 mars 1680. Archives de la Bastille.
  2. Arrêtée le 24 janvier 1680, la marquise de Fontet fut relâchée le 14 juillet 1681. Archives de la Préfecture de Police. Carton Bastille I.
  3. Celui-là même qui avait jadis arrêté Mme de Brinvilliers, et l’un des meilleurs limiers de la police du temps.
  4. Lettre du 13 février à Ricous. Archives de Chantilly.