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Le Roi avait été mieux inspiré quand il fit choix de Casimir Delavigne ; M. le Duc d’Orléans n’avait pas consulté son caissier quand il nomma Augustin Thierry ; et vous, mon cher Prince, quand vous apprendrez ce qui s’est fait, vous le regretterez amèrement, parce que vous êtes fait pour sentir tout ce qui est noble, et parce que vous comprenez que votre jeune gloire doit tirer un grand éclat de l’appui que vous prêterez à l’intelligence et au mérite littéraire et scientifique, dans la personne des gens de lettres et des savans. N’avez-vous pas eu, un jour, la pensée d’entrer à l’Institut ? Ah ! croyez-moi, vous n’en avez jamais eu de plus raisonnable. Votre frère[1] ne s’est pas fait littérateur, non, sans doute, en écrivant une brochure sur la marine ; mais, parce qu’il s’est servi un instant de cet instrument populaire et puissant qu’on appelle la presse ; parce qu’il s’est fait écrivain pour défendre son opinion, sa bonne renommée s’en est augmentée et son importance s’en est tout à coup accrue dans des proportions immenses. Nous sommes toujours, croyez-le, le pays de l’esprit, personne moins que vous n’en peut douter. Mais, pour Dieu ! qu’on ne fasse pas répéter, à propos de vous, le mot de Beaumarchais : « Il fallait, pour cette place, un politique parfait, ce fut un danseur qui l’obtint. » Je ne vous demande pas pardon de ma franchise : c’est le seul hommage que vous doive ma vétérance, et c’est celui qui, à mes yeux, vous honore le plus…


Paris, 16 août 1844.

… J’ai reçu ce matin votre affectueuse lettre, mon cher Prince ; et je vous en remercie ; je sais tout le prix de deux petites pages écrites par vous au milieu des occupations qui se partagent vos jours et peut-être une partie de vos nuits. Mais quand donc finira cet apprentissage de la vie administrative ? Vous annoncez votre retour pour le milieu du mois d’octobre : c’est bien tard. Vous quitterez l’Afrique sans un grand chagrin, si j’en crois quelques expressions de votre lettre[2]. Je crois que vous avez

  1. M. le Prince de Joinville.
  2. Constantine, 4 août 1844.
    «… S’il plaît à Dieu, je vous reverrai dans le courant du mois d’octobre ; en attendant, je pioche, j’inspecte, j’organise, et je me donne un mal dont on ne me saura guère de gré. Vanitas vanitatum, et omnia vanitas ! adieu ; je lis quelques lettres de Diderot tous les soirs avant de m’endormir. C’est délicieusement écrit.
    Tout à vous. H. O. »