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Reine me disait hier au soir : « Je tremble de joie, depuis ce matin. » Vous avez couru, votre frère et vous, un grand danger. Tout le monde vous loue ; quelques-uns trouvent que vous avez poussé jusqu’à la témérité le courage dont vous avez été malheureusement obligé de donner l’exemple[1] ; mais cette circonstance vous absoudra aux yeux des plus sévères. Quand le général ne peut vaincre qu’en payant de sa personne, il doit faire le coup de fusil comme le simple soldat, et c’est une des traditions de nos vieilles armées révolutionnaires. Combien de généraux qui ont fait, aux applaudissemens du pays et de l’histoire, sur un plus grand théâtre, à la vérité, mais avec des risques peut-être moindres, ce que vous avez fait, le 15 mars, à Mechounech ! Je soupçonne, ensuite, que vous avez saisi avec empressement cette occasion, peut-être unique, dans la campagne, de conduire au feu votre jeune frère et de présider à son baptême. Une pareille pensée vous absoudrait encore du reproche de témérité, car n’étiez-vous pas naturellement, et par désignation expresse de In confiance royale, le parrain du Duc de Montpensier ? Veuillez, je vous prie, dire de ma part à votre frère tout ce que j’ai ressenti de bonheur et d’orgueil français pour sa belle action. On annonce son prochain retour en France ; j’espère que sa blessure ne sera pas tellement cicatrisée que nous ne puissions la voir encore ; c’est une décoration qu’aucune autre ne pourra remplacer pour nous. Veuillez aussi féliciter le colonel Jamin, en mon nom, du danger auquel il a échappé et du glorieux stigmate qu’il a gardé de cette épreuve. Tout le reste est bien froid, mon cher Prince, après ces beaux récits que vous nous envoyez.


Paris, 12 avril 1844.

L’effet de votre dernière campagne a été excellent ici, mon

  1. Une lettre particulière, adressée à M. Cuvillier-Fleury, donne, sur cet incident, les détails suivans :
    Batna, 22 mars 1844.
    «… Le 15, le Prince a échappé à un danger véritable, car, malgré une assez vive fusillade, il est arrivé, avec un petit nombre d’hommes, sur une hauteur occupée par des Arabes, et dont il s’empara, ayant auprès de lui le Duc de Montpensier. Cette action eût été téméraire, si elle n’avait été amenée par la retraite, un peu précipitée, d’une compagnie qui avait été envoyée contre cette position. L’action toute spontanée du Prince rétablit l’avantage de notre côté et, devant cet élan, les Arabes prirent la fuite. Toute la colonne fut présente à cette action d’éclat, et y a justement applaudi ; heureusement, les circonstances qui en ont été le principe ne se reproduiront pas, et, à l’avenir, notre cher Prince n’aura qu’à se renfermer, je l’espère, dans son rôle de Général. »