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guère à perdre. Vous en gagnez, vous, en réalité, et aussi dans l’opinion ; continuez donc ; j’espère que la Chambre aussi, vous dira : Continuez !…


Paris, 12 mars 1843.

Mon cher Prince, au moment où cette lettre vous parviendra à Médéah, vous serez à peine de retour, si même vous l’êtes, de l’expédition que vous aviez à faire dans le cours de ce mois, et vous trouverez chez vous un chaos de lettres, de journaux, de nouvelles, auxquelles je me reprocherais d’ajouter, en vous écrivant longuement aujourd’hui. Je ne puis vous dire, d’ailleurs, à quel point le sentiment de votre absence et des dangers que vous pouvez courir glace mon zèle épistolaire et paralyse les mouvemens de ma plume. Quand je vous sais là, dans un bon gîte, bien entouré, bien défendu, livré à des travaux d’administration réguliers, et pouvant, les pieds sur les chenets, recevoir et rendre la réplique à ma correspondance, j’ai un grand goût à converser avec vous, mon esprit est calme, mon cœur se possède, et nulle pensée sinistre ne vient à la traverse de mes idées pour les rembrunir et les glacer. Quand, au contraire, je vous sens courant les champs, même en si bonne compagnie, je ne sais plus que vous dire, car, si je vous disais tout ce que je pense, je remplirais dix pages de mes alarmes. À cette distance, les dangers nous paraissent, sans doute, plus gros qu’ils ne sont en réalité ; mais il me semble que, plus votre présence à la tête de nos troupes et au milieu de nos alliés est favorable et utile, plus elle déconcerte les projets d’Abd-el-Kader, et plus, aussi, elle doit attirer sur vous des pensées d’hostilité et de vengeance. Il ne vous est donc pas permis d’être imprudent ; mais vous êtes jeune, et, à votre âge, il n’y a guère loin du courage à la témérité. Tout cela fait que, jusqu’au jour où vous êtes rentré dans votre place forte, je n’ai pas le cœur à écrire ; ne craignez rien, cependant, je ne faillirai pas à la mission que vous m’avez donnée, je vous tiendrai au courant de tout ce qui pourra mériter votre intérêt : quelquefois, seulement, comme aujourd’hui, j’abrégerai, au lieu de m’étendre…


Dimanche, 26 mars 1843.

Je viens de recevoir, mon cher Prince, votre lettre datée du