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merveilleusement, au contraire, avec ce que vous m’écrivez des embarras sans cesse croissans de la question africaine envisagée de haut et aussi loin qu’une vue exercée peut porter. La nécessité de fondre ensemble et de faire marcher d’accord tous les systèmes qui se partagent aujourd’hui les esprits préoccupés de la colonisation africaine, cette nécessité que vous démontrez si bien, vous voyez bien aussi à quels efforts surhumains, à quelle responsabilité incommensurable, elle condamne celui qui sera chargé d’opérer cette fusion et de présider à ce concert. Coloniser à la romaine, c’est tout simplement demander au Parlement français, à cette mobile représentation des passions inconstantes et des intérêts changeans de notre pays, la fermeté persévérante et obstinée qui inspirait la politique du sénat romain ; c’est demander à notre égoïsme à courte vue les sacrifices que la prévoyance patricienne savait s’imposer ; c’est, en un mot, transporter dans une démocratie bourgeoise, inquiète, envieuse, tracassière, vivant au jour le jour, l’esprit de suite et la patriotique ambition d’une aristocratie constituée.

Je ne demande pas mieux ; mais essayez ! Vous savez que je ne suis pas un partisan du passé ; j’aime le pays où je suis né, et je m’accommode au temps et aux choses du présent. Je crois que nous avons fondé un gouvernement très viable, que l’avenir lui appartient, et que le plus sage est de l’aimer et de le défendre contre les malveillances de toute espèce dont il est l’objet chez les grands et chez les petits. Mais je doute que ce gouvernement ait jamais la force d’accomplir, pour un intérêt si éloigné, avec des chances de succès si contestables, l’œuvre de colonisation civilisatrice dont vous m’avez donné l’ébauche. Honneur à ceux qui la tenteront sérieusement ! Gloire à celui qui l’achèvera ! Mais, indulgence, en attendant, à ceux qui, contrariés par le mauvais vouloir de la métropole et les obstacles de toute nature que notre forme de gouvernement leur oppose, ne marchent que d’un pas incertain et mal assuré, dans cette voie difficile !…

Mais en voilà bien long sur l’Afrique, et je comprends que ma mission est plus particulièrement de vous parler de la France. Je termine donc cette causerie rétrospective provoquée par votre lettre, et je vais vous dire un mot de nos affaires, de notre politique et de nos plaisirs ; et que ce mot n’effarouche pas votre puritanisme, qu’il ne blesse pas vos douloureux souvenirs. Vous savez bien qu’aujourd’hui, en France, nos plaisirs sont