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habitude de commettre des actes de violence, et même des crimes, pour attirer l’attention sur eux et pour obliger l’Europe à s’interposer. Cela se fait du petit au grand. Mme Carlier, dans les intéressans récits que nous avons publiés, raconte qu’un Arménien tirait sur le consulat français par une lucarne de la maison d’en face, dans l’espoir que, s’il était assez heureux pour tuer quelqu’un, surtout le consul, on en accuserait les musulmans et que la France se croirait obligée d’intervenir. On se rappelle qu’au plus fort des massacres, des Arméniens ont tenté un coup de main sur la Banque impériale ottomane à Constantinople : quoi d’étonnant si les Bulgares s’en sont pris, à Salonique, à une succursale de ce même établissement ? Dans toutes ces circonstances, le même sentiment, aveugle, violent, meurtrier, met des armes entre les mains de malheureux, qui, quelquefois, il faut bien le reconnaître, sont poussés à bout à force de misère et de vexations, mais, quelquefois aussi, sont de simples conspirateurs professionnels et n’ont aucune excuse dans leur égarement. A quelle catégorie appartiennent les auteurs de l’attentat de Salonique ? Nous n’en savons rien : aux deux, peut-être. On en a arrêté un certain nombre et leur procès s’ouvre en ce moment même ; il jettera sans doute quelque lumière sur des faits restés jusqu’ici assez obscurs.

L’attentat de Salonique n’a cependant pas été tout à fait imprévu. Depuis quelque temps déjà, la direction de la Banque impériale était avertie du danger, et des précautions avaient été prises pour le conjurer ; mais on ne songe pas à tout, et le danger prend les formes les plus diverses. La succursale de la Banque avait été minée. Des Bulgares qui avaient loué, plusieurs mois auparavant, une boutique de l’autre côté de la rue avaient creusé un souterrain sous celle-ci et l’avaient rempli de dynamite. Le jour fixé, à la nuit tombée, ils ont fait sauter les conduites de gaz de la ville. L’obscurité a été complète. C’était le signal : au même moment, les bombes ont commencé à pleuvoir sur la ville et la succursale de la Banque a sauté. En quelques minutes, elle n’a été qu’un monceau de ruines ; mais la caisse, qui était dans les caves, a été sauvée. Le nombre des victimes est considérable, tout porte à le croire, bien qu’il n’ait pas été établi ou du moins publié officiellement. L’attentat de Salonique a concordé, comme on devait s’y attendre, avec un redoublement d’activité des révolutionnaires dans toute la Macédoine. Bandes bulgares d’une part, troupes impériales de l’autre, se rencontrent en ce moment même et se battent un peu partout ; tantôt ce sont celles-ci qui l’emportent et tantôt ce sont celles-là ; le désordre est général.