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qui se passe sous nos yeux et qui est en action. Or, Lechat se trouve mêlé à deux affaires. La première lui est apportée par des filous authentiques : nous savons qu’ils ont commencé par étrangler un gogo et que toutes leurs manœuvres ne tendent qu’à dissimuler au financier qui fera les fonds les conditions réelles du marché. Nous les entendons se concerter pour altérer les faits, dissimuler les uns, atténuer les autres, biaiser, truquer, tromper. C’est un piège qu’ils tendent à Lechat. Nous serions désolés qu’il s’y laissât prendre. Nous faisons toute sorte de vœux pour qu’il évente la ruse. Au besoin nous l’avertirions, comme font dans certains théâtres les spectateurs convaincus. Nous sommes enchantés qu’il déjoue si prestement le complot de ces aigrefins. Nous lui savons infiniment degré de les avoir roulés comme ils le méritaient. Il n’y a pas à dire ; pendant toute la durée d’un acte nous sommes pour lui : la canaillerie de ses adversaires lui refait une vertu : et, puisque aussi bien il apporte l’argent, les influences, l’intelligence, il nous semble tout simple qu’il ait la plus large part dans les bénéfices de l’entreprise. La seconde fois, Lechat est aux prises avec le marquis de Porcellet. Ce marquis a un grand nom, et jette dans le débat de grands mots, qui nous font impression quand ils traduisent réellement des principes, mais non pas quand ils ne sont là que pour la façade. Nous voyons très bien quel est le but de la visite du marquis ; il est venu pour exécuter, lui aussi, une opération financière : celle qui consiste à emprunter pour ne pas rendre. De la part de Lechat, s’acheter avec ses millions un gendre titré, c’est une sottise, et il est bien probable que sa vanité va l’entraîner à conclure un marché de dupe. Mais, de la part de Porcellet, faire entrer dans sa noble lignée la fille d’un homme taré, restaurer le château de ses pères avec un argent d’une provenance honteuse, c’est une infamie Entre le financier vaniteux et le gentilhomme ravalé, nous demandons instamment à ne choisir ni l’un ni l’autre ; c’est tout de même le financier qui nous paraît être dans la moins ignoble posture.

Lechat est sans entrailles pour les jardiniers chargés de famille et pour les ramasseuses de bois mort. Nous l’en blâmons. Mais d’ailleurs quel fâcheux entourage est le sien et que de torts n’ont pas envers lui les êtres qui, à des degrés divers, profitent de son luxe ! Mme Lechat, par ses jérémiades, ne nous touche guère ; car elle juge assez bien son mari : elle le déclare grossier, brutal, esbrouffeur et menteur ; mais elle ne trouve à redire à toutes ces belles qualités que pour autant qu’elle a elle-même à en souffrir. Lechat a un fils, et les vices de ce jeune fêtard sont en grande partie le résultat de la déplorable