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désordre, laissant le sol jonché de leurs morts et de leurs blessés ; les Prussiens les poursuivaient alors, et la retraite devenait une déroute.

Les Prussiens ne l’emportèrent que parce qu’ils avaient mis au service de leur offensive tout ce qui peut l’élever au dernier degré de puissance : la supériorité du fusil, l’excellence de l’instruction technique, l’audace et la spontanéité des résolutions, la confiance que ressent le soldat infatigablement poussé en avant par des chefs en qui il a confiance. Dans la première partie de la bataille de Sadowa, au corps du prince Frédéric-Charles, et partout où les circonstances les mirent en nombre inférieur, ils restèrent parfois sur la défensive, mais cette défensive ne fut jamais passive, ce qui les eût à coup sûr conduits à leur perte ; active, elle conclut à l’offensive furieuse dès que les deux ailes furent entrées en action. C’est l’offensive tactique venant couronner une offensive stratégique qui a triomphé à Sadowa.

Les anciens montraient au-dessus des armées les divinités aux prises entre elles sur les nuées. Ce ne sont pas, en effets des corps seuls qui, sur un champ de bataille, se cherchent, se mesurent, s’abordent et se culbutent : ce sont des intelligences et des volontés, ces puissances supérieures symbolisées chez les anciens par les Dieux. Aussi n’est-il pas un chef militaire qui n’ait reconnu dans la force morale la souveraine des combats Le maréchal Bugeaud raconte qu’à Conflans, en 1815, étant colonel, avec une cinquantaine de soldats sans cartouches, il est assailli par deux ou trois cents tirailleurs ennemis. « Chargez-les, dit-il. — Mais nous n’avons pas de cartouches, répondent les soldats. — C’est égal, riposte-t-il, chargez toujours. » Ils se précipitent sur les tirailleurs et les dispersent. « O puissance morale ! s’écrie le maréchal comme conclusion de ce récit, tu es la reine des armées ! »

Napoléon estimait qu’à la guerre les trois quarts sont des affaires morales ; la balance des forces réelles n’est que pour un autre quart[1]. La crainte d’être battu, c’est déjà la défaite. La victoire est donnée par le nombre des hommes qu’on effraie plus que par celui des hommes qu’on tue[2]. « Qu’est-ce qui fait perdre une bataille ? Ce n’est pas la grandeur des pertes

  1. Observations sur les affaires d’Espagne, 7e observation. — Voyez aussi Gouvion Saint-Cyr, Campagne de Catalogne, 1812. La Marmora, Quattro discorsi (1871.
  2. Marmont, Institutions militaires, 3e partie, chap. V ; 2e partie, chap. II.