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(le Soir des Rois, Beaucoup de bruit pour rien), il est question, parfois avec détail, de diverses sortes de danse. L’une des plus souvent citées est la morisque. Originaire d’Espagne, elle se mêla très vite en Angleterre à certaine pantomime qui figurait les faits et gestes de Robin Hood. Un célèbre danseur du temps y excellait : Kemp, qui fut l’ami de Shakspeare et créa même en ses ouvrages de petits rôles, comme celui de Pierre dans Roméo.

Le poète n’était pas moins sensible au son des instrumens qu’à celui de la voix. Nous disons : des instrumens, et non de l’orchestre, qui ne faisait guère que de naître. Moins avancée que l’Italie, l’Angleterre pourtant connaissait et pratiquait déjà certaines combinaisons instrumentales : le consort whole, formé par des instrumens de même famille et, dans le cas contraire, le broken consort. Un des instrumens les plus en vogue au temps d’Elisabeth s’appelait le virginal, espèce de clavecin primitif, dont les cordes étaient touchées par des becs de plume. Bien que sa royale protectrice en jouât elle-même, Shakspeare n’y a fait qu’une seule allusion, mais dans un sonnet délicieux :


Que de fois, ô ma vivante musique, quand tu joues de la musique sur ce bois bienheureux dont la vibration résonne sous tes doigts harmonieux, quand tu règles si doucement l’accord métallique qui ravit mon oreille,

J’envie les touches qui, dans leurs bonds agiles, baisent le tendre creux de ta main, tandis que mes pauvres lèvres, qui devraient recueillir cette récolte, restent près de toi, toutes rouges de la hardiesse du bois !

Pour être ainsi caressées, elles changeraient bien d’état et de place avec les louches dansantes sur lesquelles les doigts se promènent d’une si douce allure, rendant le bois mort plus heureux que des lèvres vivantes.

Puisque ces petites effrontées en sont si joyeuses, donne-leur tes doigts à baiser, mais donne-moi tes lèvres.


A travers le théâtre de Shakspeare, on entend résonner en quelque sorte tous les instrumens de son temps. Inégaux en dignité, la viole et le luth étaient parmi les plus usités. Si nous en croyons Shylock, on faisait peu de cas du fifre. « Eh quoi ! s’écrie le juif, il y aura des masques ? Écoutez-moi, Jessica : fermez bien mes portes, et quand vous entendrez le tambour et l’ignoble fausset du fifre, n’allez pas grimper aux croisées, ni allonger votre tête sur la voie publique pour contempler ces fous de chrétiens aux visages vernis. » Dans Coriolan, il suffit de quelques noms d’instrumens et d’une image éclatante pour donner l’impression d’une symphonie triomphale : « Écoutez !