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Shakspeare, et dont la mélodie, non moins exquise et subtile, filtre au travers du feuillage et vient mourir sur le gazon. Pour l’équilibre de l’œuvre, un contraste, une compensation était ici nécessaire. Après tant d’action et de mouvement, il fallait ce repos ; après l’agitation et les intrigues des hommes, la paix et la simplicité des choses sereines, le mystère, presque le silence et les doux bienfaits de la nuit.

La musique shakspearienne compte encore d’autres nocturnes. Au second acte du Roméo de Gounod, sans parler du prélude et de l’épilogue instrumental, telle phrase de l’amant ou de l’amante, et par exemple celle-ci, de Roméo : O nuit ! sous tes ailes obscures abrite-moi ! enveloppe le balcon de Juliette de parfums et d’ombre étoilée. Qui ne connaît et n’admire le principal épisode, pittoresque et presque imitatif autant que passionné, du duo nuptial : celui « de l’Alouette » ? Shakspeare paraît avoir été sensible au chant des oiseaux, ou seulement à leur présence. Rappelez-vous la remarque, tragique par sa grâce même, de Duncan et de Banquo arrivant au château de Macbeth, qui va leur être fatal :


DUNCAN. — La situation de ce château est charmante ; l’air se recommande légèrement et doucement à nos sens délicats.

BANQUO. — Cet hôte de l’été, le martinet familier des temples, prouve, par sa chère résidence, que l’haleine du ciel a ici des caresses embaumées… J’ai observé qu’où cet oiseau habite et se multiplie, l’air est très pur.


Shakspeare, qui regardait l’hirondelle, ne l’a pas, comme Dante, écoutée. Et la musique d’après Shakspeare n’a pas imité son chant ou son cri. Mais, dans l’opéra de Gounod, elle a noté celui de l’alouette ; avec cinq ou six notes cristallines, elle a su, mieux encore que la poésie, évoquer un paysage d’aurore et faire entrer dans la chambre nuptiale toute la fraîcheur et toute la lumière du matin.

Grand paysagiste et grand décorateur, voilà ce que, dans son Roméo, Berlioz est peut-être le plus. Le prologue, dont Gounod se souvint en écrivant le sien, est admirable de vie et de vérité pittoresque. La « Fête chez Capulet » égale en coloris les somptueuses compositions de l’école vénitienne, et je doute si, par le mouvement et la fougue, elle ne les surpasse point. Mais le chef-d’œuvre de la partition et l’un des chefs-d’œuvre de Berlioz, c’est la rêverie de Roméo dans le jardin solitaire et silencieux. Sur le