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des grands criminels ; à ce régime, l’un d’eux, M. Flanagan, est devenu fou, dans la prison de Limerick. La raison, si on veut la savoir, c’est que le hard labour a pour conséquence de disqualifier le condamné en le rendant inéligible pendant cinq ans aux assemblées locales. Il est vrai que cela ne l’empêche pas, s’il est M. P., de revenir prendre séance à la Chambre des communes, sa peine finie, d’y interpeller le gouvernement et d’y dîner sur la terrasse côte à côte avec ses collègues du Parlement : on voit bien que ce ne sont pas des condamnés de droit commun !

Tout cela a exaspéré, on le conçoit, les plus modérés même des Irlandais. Du haut en bas de l’échelle, prêtres ou paysans, bourgeois ou gentlemen, adversaires ou amis de la Ligue, tous les nationalistes, — et bon nombre d’unionistes avec eux, — se sont mis d’accord pour flétrir les abus de la coercition. La coercition, pour eux, est une provocation. On veut leur arracher des mains la seule arme qui leur reste, l’arme de l’agitation légale : leur antibritannisme en est doublé. — Sont-ce des juges à leurs yeux que les magistrates, les removables, comme on les appelle, les révocables ? Non pas, ce sont des agens, des préposés du pouvoir exécutif. Leur justice n’est pas une justice, mais une farce judiciaire. Nul n’a de confiance en eux, de respect pour eux ; nombre de leurs justiciables refusent de se défendre, et se contentent, à leur barre, de dire leur fait à ces créatures du « Château. » — Et le « Château » lui-même ? Il est aux mains des landlords. Tout dans l’Etat est disposé en vue de ce but unique, maintenir les landlords et le landlordisme, par conséquent faire rentrer les « rentes, » coûte que coûte et quelles qu’elles soient. On n’assiste graziers et grabbers que parce qu’eux-mêmes ils assistent les landlords. Le paiement plein des « rentes » est pour l’autorité le critérium unique de la prospérité du pays. District par district on eût pu, dit-on, désigner les noms des landlords en difficulté avec leurs tenants et au soutien de qui les « proclamations » ont été rendues. La coercition elle-même n’a ainsi été, aux yeux des Irlandais, qu’une démonstration en faveur des landlords et une mesure d’intimidation à 1 encontre des paysans : strictement elle a été, pour eux, l’œuvre des landlords, ceux-ci étant, au vrai, les maîtres du gouvernement.