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d’édicter un régime de rigueur sans appliquer au mal de remède définitif, en se contentant, selon le mot de lord Cowper, « de faire rentrer le mécontentement sous terre, » au risque de provoquer une levée de sociétés secrètes et une recrudescence d’attentats violens en Irlande ? Ce sont des mesures de réparation qu’il faut, non de coercition : la coercition ne guérit rien, car la force, selon le mot fameux, n’est pas un remède.

Si la force devait guérir l’Irlande, ce serait fait depuis longtemps, car les Irlandais ont compté que c’est la quatre-vingt-septième fois depuis l’an 1800 qu’on les a soumis à un régime spécial de coercition. C’est dire qu’ils sont quelque peu blasés sur les lois d’exception et qu’ils en eussent subi sans doute assez philosophiquement l’application, si cette application, confiée à un ministère public indépendant, à des juges impartiaux, s’était faite avec équité et sans excessive sévérité : ce n’est malheureusement pas le cas, disent-ils.

Les poursuites, d’abord, sont le plus souvent de caractère politique. Point de règle suivie, point de commune mesure ; le « Château » choisit ses victimes, il ménage les grands chefs de la Ligue, qui pourtant ne le ménagent ni ne se ménagent, mais frappe les hommes de moindre notoriété et d’influence plus locale ; il poursuit John Fitzgibbon, l’ami des tenants de lord de Freyne, pour un embarras de voiture sur la grand’route, avec l’espoir de mettre ce gêneur à l’ombre pour quelque temps, il s’attaque aux membres des assemblées locales, il s’acharne, on ne sait pourquoi, sur certains malheureux comme ce député John O’Donnell qui ne peut ouvrir la bouche à une réunion publique sans être appréhendé au corps et conduit devant les magistrates, tandis qu’on laisse tranquillement parler ses voisins de plate-forme, et qui, voulant naguère protester au Parlement contre cette persécution, se fit expulser de la Chambre avec fracas. On entasse les frais de justice et les dépens, pour frapper la Ligue à la bourse, à quoi la Ligue répond en formant par souscription publique un « fonds de défense » que l’Amérique, regagnée à la cause du nationalisme constitutionnel par reflet de la coercition, s’empresse de doter de larges contributions. On poursuit et fait condamner des comités de la Ligue pour tentative d’intimidation sans résultat ; des journaux pour articles violens sans doute, mais d’objet général et ne visant personne nominativement ; de simples paysans qui, de leur propre