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pour le jugement des crimes par un jury spécial et restreint ; il est aboli purement et simplement pour tous les faits qualifiés d’intimidation (pression ou violence morale), d’entente criminelle (conspiracy) et d’incitation à boycottage, lesquels sont jugés « sommairement » dans chaque district par deux magistrates spéciaux, désignés par le Lord Lieutenant, et qui, en fait, sont des fonctionnaires, révocables à volonté, d’ordre demi-policier et demi-judiciaire[1]. En vertu de ces dispositions, il a été prononcé, sans jury, jusqu’au 31 décembre 1902, pour discours publics ou articles de presse, plus de cent condamnations, avec peines variant de quelques jours à six mois de prison ; dix membres du Parlement ont été ainsi condamnés, et plusieurs l’ont été plusieurs fois.

Je ne voudrais pas parler ici trop sévèrement de ce régime de coercition, — nous n’avons plus en France, hélas ! le droit de critiquer trop haut les lois d’exception. — Il a eu cet effet de pacifier dans une certaine mesure les régions où quelque désordre était né de causes d’ailleurs plus économiques que politiques. Il a eu aussi cet effet, auquel on pouvait s’attendre, de donner un nouvel essora l’agitation qu’il avait pour but de réduire, en exaspérant le sentiment national, en rejetant les modérés du côté des violens, en développant l’influence de la Ligue. « M. George Wyndham, Secrétaire en chef pour l’Irlande, est le meilleur promoteur que la Ligue ait jamais eu ! » déclarait récemment M. John Redmond. Et, de fait, deux mois après la « proclamation » de Dublin, laquelle n’eut pour objet que de faire condamner sans jury le journal officiel de la Ligue, l’Irish People, — un journal qui, dit-on, n’avait pas de lecteurs, ou si

  1. La loi de coercition de 1887 contient un assez grand nombre d’autres dispositions, d’importance moindre, comme le change of venue (ou droit de transfert des procès criminels d’une cour à une autre), ou qui n’ont pas été remises en vigueur par les « proclamations » de 1902, comme celle qui vise la suppression de la Ligue (tout membre de la Ligue devenant alors du jour au lendemain passible de prison). — Il est à noter que, sans attendre les « proclamations, » à partir du mois de décembre 1901, nombre d’orateurs aux meetings populaires avaient déjà été poursuivis devant les magistrates et condamnés en vertu d’une disposition, permanente celle-là, de la loi de coercition, pour unlawful assembly (réunion illicite), en réalité pour intimidation ou incitation à boycottage : c’était la coercition avant la lettre. — Il faut signaler enfin que l’application de la coercition semble avoir été suspendue depuis le commencement de l’année 1903 ; une « proclamation » du 3 février a même aboli la « juridiction sommaire » des magistrates dans une partie des régions qu’on y avait soumises l’an dernier. C’est l’effet de la trêve intervenue entre les Irlandais et le gouvernement dans l’attente du land bill.