Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/401

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

l’administration locale : ici, au contraire, le résultat est si satisfaisant qu’ils en tirent un argument de plus pour réclamer, avec l’autonomie locale, l’autonomie politique. — Qu’a-t-on fait, d’ailleurs, depuis dix ans dans l’ordre administratif ou judiciaire pour donner satisfaction à l’Irlande ? Rien. Le triage des jurys, le jury parking, se pratique au grand jour. Le « Château » de Dublin, siège et symbole du gouvernement, est plus anti-national que jamais. La police, — 12 000 hommes armés de rifles, — occupe toujours le pays en pays conquis, et, pour soigner leur avancement, les agens provocateurs continuent de faire condamner des innocens pour des crimes et délits imaginaires ou qu’ils ont eux-mêmes « manufacturés » à cet effet.

Financièrement, l’Irlande, déjà surimposée en 1893-1894 d’une somme annuelle de deux millions et demi de livres sterling, comme la montré le rapport de la Commission dite « des relations financières, » a vu depuis lors ses impôts s’accroître d’une nouvelle somme de deux millions et demi. La conséquence, c’est que le fléau de l’émigration enlève encore au pays chaque année de quarante à cinquante mille de ses enfans ; ceux qui restent n’en sont pas plus riches, la misère générale ne fait qu’augmenter, et, comme ce sont surtout les jeunes qui s’en vont, la natalité baisse, l’aliénation mentale progresse dangereusement, la race s’affaiblit et s’épuise[1]

L’Irlande, en voyant cette ruine, se prend alors d’impatience et se révolte. Son cas est un cas suprême, un crying case ! L’héroïque défense du petit peuple boer développe les espérances : on se dit que les Boers travaillent pour l’Irlande, qu’ils apprennent aux Anglo-Saxons de quoi est capable une nationalité forte, si petite soit-elle ; on se prend à rêver de la décadence prochaine de l’Angleterre ; on se persuade que l’Impérialisme provoquera partout des complications et que les difficultés de l’Angleterre feront le succès de l’Irlande : Englands difficulty, Ireland’s opportunity ! Les esprits se montent, et les têtes s’échauffent ; l’agitation va reprendre, au moins dans la fraction la plus excitable de la population, qui ne voit de salut que dans la lutte politique : elle reprend en effet au cours de l’année 1900, sous l’égide de la

  1. Pendant le règne de la reine Victoria, la population de l’Irlande a diminué de moitié et la taxation par tête d’habitant a doublé, tandis qu’en Angleterre la population doublait et la taxation par tête d’habitant n’augmentait que d’un cinquième ou d’un sixième.