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ici les grands traits, il en a du moins déterminé l’explosion, il a déchaîné l’agitation, provoqué la répression, mis « le feu aux poudres » en exaspérant d’une part l’hostilité irlandaise contre l’Angleterre, et de l’autre l’hostilité anglaise contre l’Irlande. Ne sortira-t-il pas maintenant de l’excès du mal quelque bien inattendu, dans le calme renaissant, c’est ce que nous aurons à examiner.


I

Nous avons dit, ici même[1], ce que l’Irlande a fait de ces années de calme, de « recueillement, » qui suivirent la mort de Parnell et la fin de cette longue crise du home rule qui influa si fort sur les progrès de l’esprit « impérial » en Angleterre et dont l’échec fut en somme la première victoire de l’Impérialisme britannique. Nous avons essayé de montrer comment l’Irlande vaincue, repliée sur elle-même, se met alors à travailler à la restauration de sa nationalité en se rattachant aux traditions et au langage d’autrefois, en s’affranchissant du joug intellectuel et social de l’Angleterre. Epuisée par les luttes passées, elle a besoin de reprendre des forces avant de nouveaux combats. Elle se désintéresse alors de la politique, lasse pour un temps de l’agitation, du parlementarisme, peu édifiée d’ailleurs par le spectacle que donnent à Westminster ses députés, qui, Parnell disparu, passent leur temps à s’entre-quereller, les « anti-parnellistes, » sous M. John Dillon, excommuniant M. John Redmond et les « parnellistes » restés fidèles à la mémoire du chef, et les indépendans groupés autour de M. Healy : dissensions sans intérêt pour l’étranger, sans gloire pour l’Irlande, et auxquelles un jour elle dut mettre fin en refusant son obole au « fonds parlementaire. » Cependant l’opinion, désemparée, s’épuise en questions de personnes ; le clergé se tient à l’écart, tandis que, parmi les jeunes gens, beaucoup se reprennent à l’idéal séparatiste et républicain ; la masse enfin reste défiante, découragée. L’Irlande, divisée contre elle-même, est pour un temps frappée d’impuissance politique.

C’était là, si l’on en avait su profiter, une belle occasion pour

  1. Voyez la Revue du 15 avril 1902 : le Recueillement de l’Irlande.