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Des mots rapides qu’ils échangèrent, rien, par malheur, n’est venu jusqu’à nous. Le maréchal reprit son douloureux voyage.

Il atteignit bientôt la porte de Paris et prit la rue Saint-Honoré, où il fut encore aperçu par deux dames de sa connaissance, Mmes de Mouci et de Lavardin. Il les salua sans leur parler. Ignorantes de la catastrophe, elles furent surprises de sa pâleur, de la tristesse de son visage. Filant toujours vers la Bastille, le carrosse s’engageait maintenant dans la rue Saint-Antoine. Là se trouvait la maison professe des Jésuites ; comme on allait la dépasser, Luxembourg fit signe à ses gens ; la voiture s’arrêta ; il descendit, entra dans la maison. On dit qu’il demanda d’abord le Père La Chaise, le confesseur du Roi, personnage influent ; mais, ne le trouvant point, il s’entretint avec le Père Maimbourg[1] : « J’ai abandonné Dieu, lui dit-il, et Dieu m’a abandonné aux hommes[2]. » Ils furent ensemble près d’une heure. Avant de repartir, le maréchal voulut aller dans la chapelle[3] ; il se mit à genoux, pria, versa des larmes. « Il paraissait un peu qu’il ne savait à quel saint se vouer, » dit méchamment Mme de Sévigné. Sur le seuil du sanctuaire, il rencontra Mme de Vauvineux ; il l’aborda, lui dit son infortune et le séjour qui l’attendait. Il ajouta « qu’il en sortirait innocent, mais qu’après un tel malheur, il ne reverrait. jamais le monde[4]. » Le reste du trajet se fit sans incidens. Cinq heures du soir sonnaient quand son carrosse le déposa devant l’entrée de la Bastille.


Le gouverneur de l’antique forteresse était alors M. De Bézemaux, vieux gentilhomme gascon, autrefois capitaine des gardes de Mazarin et nommé par le cardinal à ce poste de confiance. C’était un fonctionnaire rigide et consciencieux, strict sur la discipline, au reste « humain, doux, civil et honnête, » courtois avec les prisonniers, et leur rendant de bons offices « quand il les croyait innocens[5]. » Bézemaux n’avait eu nul avis des

  1. Louis Maimbourg (1620-1686). Il fut l’un des plus féconds historiens du XVIIe siècle. Un peu avant sa mort, il publia un traité de théologie gallicane à la suite duquel il dut quitter l’ordre des Jésuites.
  2. M. Brayer à M. De Mazauges, 2 février 1680. Archives de la Bastille.
  3. Aujourd’hui l’église Saint-Paul-Saint-Louis.
  4. Mme de Sévigné, lettres des 24 et 29 janvier 1680 ; édition Monmerqué, — Oraison funèbre du maréchal de Luxembourg, par le P. La Rüe ; — Rapports adressés à Condé. Archives de Chantilly.
  5. Mémoires de Jean Rou, lequel fit en 1673 un séjour à la Bastille.