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pour agir, la volonté suprême du Roi, et qu’on garderait jusque-là un inviolable secret.

Louvois seul fut mis au courant par un message du président Boucherat. Il y répondit le soir même : « Le Roi, lui disait-il, a été informé par la lettre que vous avez pris la peine de m’écrire cette après-dînée de ce qui s’est passé à la Chambre ce matin. Sa Majesté donnera dans la journée de demain les ordres nécessaires pour faire arrêter les personnes de considération contre lesquelles il a été décrété… » Le ministre ajoutait cette recommandation, dont le but véritable apparaîtra bientôt : « A l’égard des ajournemens qui sont donnés par la Chambre, ils doivent être signifiés par les soins et à la diligence de M. le procureur général ; et, afin que ces ajournemens personnels ne puissent pas servir d’avertissement aux personnes contre lesquelles il y a décret de prise de corps, Sa Majesté aura bien agréable que l’on ne fasse signifier lesdits ajournemens que jeudi matin. »

Le jour suivant, mardi 23, la délibération de la Chambre de l’Arsenal, avec les pièces principales du dossier, fut mise aux mains du Roi, qui passa « deux grandes heures » à lire et étudier l’affaire. Cet examen le convainquit ; il donna son assentiment. Un scrupule pourtant l’arrêta, quand il en vint au nom de Mme de Soissons ; des souvenirs de jeunesse assaillirent sa mémoire, jetèrent le trouble dans son âme. C’était cette Olympe Mancini[1], l’une des premières femmes, assure-t-on, qui eût trouvé le chemin de son cœur, sœur, en tout cas, de celle qu’il avait si follement aimée. Il ne put soutenir la pensée de la voir traîner en prison, confondue dans la tourbe infâme des sorcières

  1. Olympe Mancini, nièce de Mazarin, née en 1633, mariée en 1657 au prince Eugène de Carignan, de la maison de Savoie, pour lequel le Roi releva le titre de comte de Soissons et dont elle eut huit enfans. Le comte de Soissons succomba le 7 juin 1673, dans des conditions qui donnèrent à soupçonner qu’il avait été empoisonné par sa femme, avec l’assistance de la Voisin. Il est certain que la comtesse était une des habituées du logis de la fameuse devineresse ; notons pourtant que la propre mère du comte de Soissons, la princesse de Carignan, protesta contre toute idée de poison : « Mme de Carignan, mande Ricous à Condé, est fort affligée. Elle dit que c’est une bagatelle d’il y a vingt-deux ans, qu’elle s’en était même plainte à feu M. le cardinal, qui lui dit : « Madame, laissez-la faire. Il vaut mieux qu’elle fasse cela que si elle faisait quelque autre chose. Avec le temps, elle verra que ces sales femmes ne savaient rien ; elle en sera pour son argent, et cela la corrigera de ces curiosités. (Lettre du 30 janvier 1680. Archives de Chantilly.) — Choisy assure dans ses Mémoires que toute cette affaire avait été suscitée par Louvois, mécontent de ce que la comtesse eût refusé d’avoir son fils pour gendre.