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Bonnard, — Luxembourg crut comprendre qu’il s’agissait de la visite chez Mme du Fontet, et fit un récit détaillé de « l’unique occasion où il eût rencontré Lesage. » Louis XIV parut se rendre à ces explications : « Il me fit l’honneur de me dire que, si je n’avais rien signé de mal, je n’avais pas sujet de me mettre en peine. » Quand le maréchal prit congé, il se sentait, selon son témoignage, sinon entièrement satisfait, du moins très rassuré par les paroles royales.

La procédure, pendant ce temps, suivait régulièrement son cours. L’affaire de la Voisin se trouvait enfin « en état, » et la Chambre était sur le point de rendre son arrêt contre l’empoisonneuse, quand, le lundi 22 janvier, à l’audience du matin, le président Boucherat reçut un message de Louvois, qui l’invitait à différer encore : « Sa Majesté[1]m’a commandé de vous faire savoir qu’elle jugeait à propos que vous conduisiez les choses de manière qu’elle (la Voisin) ne soit jugée que samedi, et que le jugement soit tenu secret jusqu’au lundi matin… Ainsi vous trouverez tout le temps nécessaire pour faire les confrontations de la Voisin avec ceux contre lesquels la Chambre pourra décréter demain. Que si néanmoins ce temps ne suffisait pas, Sa Majesté trouve bon que la Chambre diffère le jugement de la Voisin autant que le bien de la justice le lui fera juger à propos. » Rien n’était plus aisé que lire entre les lignes la pensée secrète de Louvois. Le ministre entendait que l’on décrétât tout d’abord contre les « gens de qualité, » sur lesquels il pesait des charges suffisantes, et qu’on réservât la Voisin pour témoigner dans leurs procès. C’est bien ce que comprirent les juges de l’Arsenal. Séance tenante, et sans désemparer ; ils statuèrent sur le cas des « vingt-sept personnes de la Cour » dénoncées, dans ces derniers mois, par la Voisin et par Lesage. Quatre décrets « de prise de corps » furent lancés contre Luxembourg, contre la comtesse de Soissons, son amie la marquise d’Alluye, et la marquise de Polignac, qui parurent les plus compromis. Des « ajournemens personnels[2] » furent en être ordonnés contre le marquis de Feuquières, la princesse de Ingry, la duchesse de Bouillon, la maréchale de La Ferté, le duc de Vendôme, et d’autres de moindre renom. Il fut convenu toutefois que l’on attendrait,

  1. Lettre du 22 janvier 1680. Archives de la Guerre, t. 637.
  2. Simple avertissement de comparaître et de répondre devant les commissaires enquêteurs.