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soit dissipé : « Il me proposa de m’absenter, si j’avais fait quelque chose qui pût me faire de la peine, » écrit le maréchal. Dans un factum[1]qu’il adressa plus tard à la Chambre de l’Arsenal, Luxembourg, revenant sur cette proposition, accuse Louvois, sans le nommer, d’arrière-pensée machiavélique : « On lui[2]a suscité de fausses accusations, fondées sur des pièces fausses et fabriquées par des gens infâmes, chargés de crimes, actuellement dans les fers, et subornés contre lui, dans la pensée qu’il sortirait plutôt du royaume que de souffrir l’instruction fâcheuse d’une procédure extraordinaire, et que l’on trouverait dans la contumace un moyen assuré de le perdre. » Quoi qu’il en soit des intentions, le conseil de Louvois fut accueilli par un refus hautain : « Je lui dis que, bien loin de m’éloigner, si j’étais accusé, je me croirais obligé de revenir du bout du monde pour me justifier. » Louvois, embarrassé, se retranchait alors derrière l’autorité du Roi, qui l’avait chargé, disait-il, de tenir ce langage ; et Luxembourg se décidait à s’expliquer lui-même directement avec le maître.

La Cour était à Saint-Germain ; le maréchal la rejoignit dans la journée suivante. L’audience qu’il demanda fut sur l’heure accordée. Il semble que le Roi, dans cette émouvante entrevue, ait montré plus de bienveillance et plus de franchise que Louvois. Sans réticence et sans ambages, il fit connaître à Luxembourg les charges les plus graves du dossier formé contre lui. « Sa Majesté me fit l’honneur de me dire que Lesage disait que je me voulais servir de son art pour faire mourir ma femme, du Pin, et le maréchal de Créqui. » Le Roi énuméra encore quelques autres faits monstrueux qu’on allait soumettre à l’enquête, comme d’avoir donné l’ordre à Bonnard et Botot de faire périr la maîtresse de du Pin, de couper le corps en quartiers et de jeter ces débris à la Seine. « Des choses aussi extraordinaires, écrit le maréchal en son style énergique, à force d’être terribles, ne me le parurent point ! » Il se contenta donc de répliquer froidement que rien n’était fondé dans ces accusations affreuses, et qu’il était victime d’absurdes calomnies. Sur quoi, le Roi disant qu’il avait vu « des preuves écrites de son commerce avec les sorciers, » — par allusion voilée au « pacte avec le Diable » fabriqué par

  1. « A Nosseigneurs de la Chambre royale séante à l’Arsenal », avril 1680. Bibliothèque nationale, Fonds Clérambault, 1192.
  2. Luxembourg, dans cette pièce, parle de soi à la troisième personne.