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il eût été impossible de le forcer. Je ne sais ce qui serait arrivé le lendemain, mais le 3 juillet n’eût pas été certainement une victoire prussienne.

Benedek eut un instant la vision de ce qu’exigeaient les circonstances. Sur les observations que lui fit dans ce sens son chef d’état-major, il l’autorisa à envoyer le corps de Ramming (VIe), aussitôt que possible, derrière la position de Chlum-Nedelist. Ramming mettait déjà ses troupes en mouvement, lorsque Benedek lui-même, à l’insu de son chef d’état-major, lui prescrivit de ne pas remuer. Il se contenta d’envoyer une division de cavalerie légère à Sendrasitz, qui couvrit la retraite des IVe et IIe corps. Il recommence tactiquement son erreur stratégique. Hypnotisé toujours par l’armée de Frédéric-Charles, il ne voit qu’elle, il ne se prémunit que contre elle, et il tient à peine compte du Prince royal. Cette avalanche qui va fondre sur lui et l’engloutir sur les collines de l’Elbe, comme elle l’avait fait aux défilés de Silésie, n’est à ses yeux qu’une colonne facile à tenir en respect.

Cette journée n’a pas été perdue parce que Festetics et Thun se sont laissé attirer dans le bois de Swiep : elle l’a été parce que, cette erreur commise, Benedek ne l’a ni réparée, ni tournée à son avantage par un emploi judicieux et rapide de ses réserves. Par-là, il a rendu un double service aux Prussiens : il a sauvé ce qui restait de Fransecky et il a laissé grande ouverte la porte par laquelle le Prince royal va le prendre à revers.

Il ne s’en doute pas. Se croyant suffisamment en sûreté par le rappel de ses deux corps, il retourne à son observatoire de Lipa. Avait-il conservé ses réserves sous la main au lieu de les envoyer à ses ailes parce qu’il méditait de les lancer avant l’arrivée du Prince royal sur le front de Frédéric-Charles ébranlé par son artillerie ? On l’a dit. Moltke croit que, dans l’intérêt prussien, il est regrettable qu’il ne l’ait pas tenté. Si Benedek avait risqué une pareille attaque avec toutes ses forces, il aurait été reçu sur son front par l’armée du prince Frédéric-Charles, impatiente de sortir de l’état de crise où elle se trouvait. Plus les Autrichiens se seraient avancés au centre et plus efficace aurait été l’attaque du Prince royal sur leurs derrières, et, placés entre deux feux, ils eussent été anéantis dans la vallée.