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ne veux pas, écrivit-il, chercher l’origine de cette singulière confidence, faite à une feuille étrangère, d’une lettre intime de l’Empereur à son ministre de l’Intérieur. Je ne ferai à ce sujet qu’une simple observation : cette lettre pourrait prêter à deux inductions mal fondées. Elle semble donner à entendre : 1° que les communications que je fis à Berlin en août 1866 auraient eu lieu sans la participation et presque à l’insu de Votre Majesté ; 2° que M. Benedetti aurait combattu la pensée de demander à la Prusse des compensations ou des garanties pour la France. Or, il résulte de ma correspondance avec Votre Majesté et des lettres de M. Benedetti que je relisais encore ce matin, la preuve manifeste : 1° que les instructions envoyées alors à Berlin ont été lues, corrigées et agréées par Votre Majesté ; 2° que M. Benedetti, dans quatre lettres écrites à cette époque, non seulement approuvait, mais provoquait en termes pressans une demande de compensations, à laquelle, disait-il, on s’attendait à Berlin et dont il garantissait le succès, pourvu que notre langage fût net et notre attitude résolue. Il n’a pas tenu à moi que cette condition fût remplie. Telle est, Sire, la vérité. Je regretterais qu’elle fût altérée par des commentaires attribuant à Votre Majesté, ainsi qu’à moi, un rôle peu digne de l’un et de l’autre[1]. »

« Considérez notre projet comme non avenu, » dit Benedetti à Bismarck. Mais ni l’Allemagne ni le ministre n’oublièrent qu’il avait été présenté et ils restèrent convaincus qu’il le serait de nouveau à la prochaine occasion favorable. Les premières protestations de bon vouloir et de désintéressement de l’Empereur avaient été jadis accueillies avec une incrédulité presque générale ; ses assurances à Baden, devant tous les princes allemands, de n’avoir aucune pensée d’annexion, commencèrent à calmer les soupçons ; son abstention dans la querelle des Duchés, ses refus de s’associer aux manifestations de l’Angleterre, sa neutralité, ses assurances, avant et après la guerre, de n’aspirer à aucun profit personnel, n’avaient pas dissipé encore tous les ombrages, à cause des mais et des si de Drouyn de Lhuys, mais les avaient atténués au point qu’ils allaient définitivement disparaître. En un moment, ce travail de tant d’années est détruit ; la confiance s’évanouit ; les déclarations rassurantes ne sont plus considérées que comme des hypocrisies, préludes de trahisons ; la neutralité

  1. De cette lettre, Benedetti n’a contesté qu’un mot : il n’avait pas donné la certitude, mais seulement l’espérance du succès.