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allez à Paris, prévenez-les qu’ils affrontent une guerre qui pourrait devenir très redoutable. — Je le ferai, mais ma conscience m’obligera à conseiller à l’Empereur le maintien de sa demande et à lui déclarer que, s’il n’obtient pas une cession de territoire, sa dynastie est exposée au danger d’une révolution. — Eh bien ! dans ce cas, faites observer à l’Empereur que précisément une guerre engagée ainsi pourrait bien être menée à coups de révolutions, et que les dynasties allemandes, en ce cas, feraient preuve de plus de solidité que celle de l’empereur Napoléon. » — Tout cela très calme ; et, finissant même sur un ton amical, il annonça que, le lendemain, M. De Loë partirait avec des instructions longuement développées à Goltz, qui le mettraient à même d’exposer à l’Empereur les considérations pour lesquelles la Prusse ne pouvait adhérer au projet de convention. Subsidiairement, il serait autorisé à chercher avec Drouyn de Lhuys d’autres combinaisons propres à nous satisfaire.


VII

Lorsque, à dix heures du soir, Benedetti était entré dans le cabinet de Bismarck, il y avait trouvé un correspondant du Siècle, Vilbort, qui, après avoir suivi la campagne, venait prendre congé du ministre et le remercier des gracieusetés de son accueil et des facilités qu’on lui avait procurées partout. « Allez prendre une tasse de thé au salon, lui dit Bismarck, je suis à vous tout à l’heure. » L’entretien avec Benedetti dura jusqu’à une heure du matin. Une vingtaine de personnes, la famille et les intimes attendaient au salon le maître de la maison. Il parut enfin, le front serein et le sourire aux lèvres. On prit le thé, on but de la bière. Comme des bruits vagues de difficultés avec la France circulaient déjà à Berlin, au moment de partir, Vilbort dit : « Monsieur le ministre, voulez-vous me permettre de vous poser une question singulièrement indiscrète : Est-ce la paix ou la guerre que j’emporte à Paris ? » — Bismarck répondit vivement : « L’amitié, l’amitié durable avec la France ! J’ai le ferme espoir que la France et la Prusse formeront désormais le dualisme de l’intelligence et du progrès. » Un sourire étrange courut sur les lèvres du conseiller privé Keudell. Le lendemain, Vilbort alla chez ce personnage et lui dit combien son sourire mystérieux l’avait intrigué. — « Vous partez pour la France ce soir, lui avait