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entrer l’ambassadeur de France dans mon cabinet, tenant un ultimatum à la main, nous sommant ou de céder Mayence ou de nous attendre à une déclaration de guerre immédiate. Je n’hésitai pas à répondre : Bien ! alors nous aurons la guerre. Cela fut télégraphié à Paris. Là on raisonna, et l’on prétendit que les instructions reçues par l’ambassadeur de France avaient été arrachées à l’empereur Napoléon pendant une maladie[1]. » Cette version inexacte est cependant intéressante : elle montre comment le Prussien se serait conduit en pareille occurrence et quelle était la seule manière sérieuse de présenter une demande de cette nature.

En réalité, Bismarck ne se fâcha pas. Il laissa Benedetti tenir son langage net et prendre son attitude ferme, et il lui développa sans emportement les motifs de son refus : « Toute cette affaire, dit-il, nous désoriente relativement aux vues de Napoléon. » Et il ajouta : « Je vais vous donner une preuve de mes intentions conciliantes : je ne parlerai pas de cette note au Roi ; elle restera comme non avenue. — Du tout, je tiens à ce qu’elle lui soit communiquée, car je la trouve juste et ne puis conseiller à mon gouvernement de l’abandonner. »

Le surlendemain (7 août) à dix heures du soir, Bismarck notifia à Benedetti le refus du Roi, et une discussion s’engagea, qui dura plusieurs heures. « Pourquoi, dit Bismarck, nous faites-vous de telles surprises ? Vous devez bien savoir que la cession d’une terre allemande est une impossibilité. Si nous y consentions, nous aurions, en dépit de notre triomphe, fait banqueroute. Peut-être pourrait-on trouver d’autres manières de vous satisfaire ? Mais, si vous persistiez dans vos prétentions, nous emploierions tous les moyens contre vous, ne vous faites à cet égard aucune illusion. Non seulement nous ferions appel à la nation allemande entière, mais nous conclurions immédiatement la paix avec l’Autriche à tout prix : nous lui laisserions tout le Sud, nous accepterions même la Diète, et alors nous marcherions avec 800 000 hommes sur le Rhin, et nous vous prendrions l’Alsace. Nos deux armées sont mobilisées, la vôtre ne l’est pas. — Comment ! s’écria Benedetti, vous pensez que l’Autriche conclurait la paix avec vous ? — Je n’en doute pas. Avant la guerre, nous avions déjà négocié cela. Ainsi, si vous

  1. Discours du 2 mai 1871.