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importantes acquisitions que la paix assure au gouvernement prussien, un remaniement territorial paraît désormais nécessaire à notre sécurité ; nos demandes sont modérées et j’en espère le succès, pourvu que notre langage soit ferme et notre attitude résolue. »

On devait attendre des renseignemens plus explicites de la part d’un ambassadeur auquel le Roi avait maintes fois manifesté sa résolution de ne pas céder un pouce de territoire, qui avait vu l’indignation de Bismarck à l’idée d’abandonner Mayence, et entendu les colères passionnées de l’opinion à tout soupçon de connivence avec nos convoitises. Que n’a-t-il dit, franchement, à pleine bouche : « Sire, si vous n’êtes pas décidé à riposter à un refus certain par l’envoi d’une armée dans les provinces réclamées, ne perdez pas le bénéfice de votre neutralité bienveillante ; ne demandez rien, parce que, quelle que soit la fermeté de votre langage et la résolution de votre attitude, vous n’obtiendrez rien, si ce n’est par les armes. » Cet avertissement eût rendu l’Empereur à lui-même et lui aurait donné la force d’être de son avis.

L’Empereur, en effet, était le seul dans son gouvernement qui pensât sainement. Il ne voulait aucune espèce de compensation ; ses déclarations à Goltz exprimaient le fond de son âme : il ne songeait pas, dût-il y réussir, à se créer, dans les provinces rhénanes, une Vénétie allemande ; il ne souhaitait que vivre en bonne intelligence avec l’Allemagne. Et, maintenant que l’Italie était constituée et l’Autriche dépouillée de sa prépondérance, il souhaitait plus que jamais assurer à son pays et à l’Europe les bienfaits d’une longue paix. Mais dans la crise physique qui paralysait sa force de volonté et sa lucidité ordinaire d’intelligence, ne trouvant personne autour de lui qui le soutînt, il capitula. « Puisque, se dit-il, mes ambassadeurs et mes ministres, qui, tous, me déclarent ne pas vouloir de guerre, croient que, par un langage résolu et une attitude ferme, on obtiendrait un avantage territorial dont l’opinion pourra être satisfaite et qui facilitera leur tâche, je ne puis leur refuser cette démarche. » Et il s’y décida d’autant plus qu’il comptait ne pas la pousser à bout et s’arrêter au premier refus. C’est le sophisme habituel par lequel les hommes faibles se justifient de leurs défaillances. Le procédé devenait de plus en plus familier à l’Empereur depuis qu’il s’affaiblissait. Il ne se rendait pas assez compte qu’une