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était là pour tirer d’embarras l’armée prussienne et, comme à Gitschin, il s’en acquitta de son mieux.

Il avait établi son état-major sur la hauteur de Lipa. Il sut, à neuf heures, que les IIe et IVe corps, sortant de leur attente défensive, face au nord, avaient été vers l’ouest engager une action offensive dans le bois de Swiep, et laissaient ouvert, par conséquent, le passage qu’ils devaient fermer et par lequel allait venir le Prince royal, dont on lui annonçait l’approche. Il éprouva, à la nouvelle de cette désobéissance, un vif et légitime mécontentement.

Il dépêche par un officier d’état-major l’ordre verbal de ramener immédiatement le IVe corps dans la position de Nedelist-Chlum. Molinari, engagé à fond et qui se croit au point de saisir la victoire, ne se retire pas de son combat. Benedek réitère son ordre ; Molinari se rend auprès de lui et représente que ce mouvement ne pourra s’exécuter sans exposer à de grands désavantages et même à une défaite, car l’ennemi s’établira immédiatement sur les hauteurs à l’ouest de Maslowed, d’où l’on domine Nedelist et qui flanquent Lipa et Chlum. Le combat tournait à son avantage et sa conviction était que son mouvement offensif mené à bout aurait pour résultat de repousser l’aile gauche de l’ennemi et de le tourner. Benedek répondit que la manœuvre n’était pas exécutable, parce qu’une forte colonne prussienne descendait le long de l’Elbe et se dirigeait contre son flanc droit. — « Mais, avec une partie de vos deux corps de réserve et de vos trois divisions de cavalerie, observa Molinari, il serait facile d’arrêter cette colonne. » Benedek ne tint nul compte de l’intelligente objection et s’obstina. Il fallut obéir.

Ce refus était aussi déraisonnable que l’avait été la désobéissance des IVe et VIe corps. Festetics et Thun avaient eu grand tort d’abandonner les postes qui leur étaient assignés, et ils ne l’eussent sans doute pas osé, s’ils avaient été initiés au dessein du généralissime. Mais le fait était accompli. C’était un de ces cas dans lesquels le véritable homme de guerre, éclairé par une lueur subite, renonce à un plan médité et en improvise tout d’un coup un nouveau par lequel il maîtrisera les circonstances nouvelles. Benedek ne sait qu’arracher une victoire aux dents de ses soldats. Il semble ne pas comprendre, lui qui a cependant une longue expérience de la guerre, que ramener en arrière une troupe, au moment où elle va atteindre un but qui lui a coûté tant de sang,