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faussé compagnie et se seraient retournés contre nous. Et alors nous eussions eu à opter entre une reculade dans l’humiliation ou une guerre terrible et chanceuse contre l’Allemagne entière. Donc, avant de s’engager par la moindre démarche, il fallait être résolu à employer le seul argument qui empêcherait la politique des compensations d’être ridicule ou funeste : la guerre. Il fallait la présenter par un ultimatum et l’épée à la main. Et pas un seul de ceux qui l’arboraient n’osait seulement envisager cette redoutable éventualité.


Cette politique ne pouvait pas avoir plus de succès au dedans. On espérait, par elle, fermer la bouche aux récriminations. Or, les ennemis de l’Empire s’étaient mis d’avance sur leurs gardes. Thiers avait dit, dans son discours du 3 mai : « Même si l’on obtenait un accroissement de territoire quelconque, cette politique n’en deviendrait que plus honteuse, car elle aurait consenti à recevoir un salaire pour la grandeur de la France indignement compromise dans un avenir prochain. » (Bravos et applaudissemens sur un grand nombre de bancs.) — « On nous parle de compensations à l’Unité allemande, s’écriait Prévost-Paradol, j’en connais une, mais une seule, qui soit digne d’un chef du gouvernement de la France, quels que soient son nom, son origine, son titre : Roi, Président de la République, Empereur : c’est de périr les armes à la main en combattant pour l’empêcher. » — Du reste, on était averti par le précédent italien. L’acquisition de Nice et de la Savoie avait-elle désarmé les ennemis de l’Unité italienne ?

Considérée en elle-même, cette politique constituait le désaveu le plus formel du système par lequel l’Empereur avait justifié ses entreprises et même ses erreurs. Elle était un blasphème contre le principe des nationalités. Le principe des nationalités ne sait pas ce que c’est que l’équilibre factice des Choiseul et des Talleyrand et ne considère le droit de l’Europe que comme une usurpation tant que les peuples ne l’ont pas établi. Elle ne sait qu’une chose, c’est que chaque peuple est maître de s’arranger chez lui comme il l’entend. « Chacun chez soi, chacun son droit, » comme disait Dupin[1]. La politique des nationalités répudie la conquête encore plus que l’équilibre. Or, la demande d’une

  1. Il n’a jamais dit : « Chacun chez soi, chacun pour soi ! »