Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/319

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

cents ans. » — « Avez-vous vu, écrivait Doudan, comme toute la terre de France s’est mise à trembler de tous ses membres ? Il y a bien de quoi, et visiblement les esprits qui sont au centre de la terre sont informés de ce qui se passe à la surface. On a probablement entendu dans ces régions une chanson comme celle de l’Apocalypse : « Elle est tombée, elle est tombée, la grande Babylone ! » Voilà, en effet, la pauvre Babylone au second rang des nations, jusqu’à nouvel ordre au moins[1] . « Les émigrés républicains faisaient rage. Quinet écrivait : « L’unité germanique est en formation depuis trente-cinq ans. Le danger pour nous était signalé et connu ; il est impardonnable à un gouvernement français, qui se dit français, d’avoir prêté la main à cette œuvre par-dessus tout anti-française. Non, jamais, depuis trois siècles, pareille monstruosité ne s’est vue. Il n’y a rien qui en approche dans les plus abominables actes de Louis XV et de la Pompadour. Sous Louis-Philippe, cela se fût appelé crime d’État. On a déchaîné l’Allemagne, et l’Allemagne, je la connais, ne s’arrêtera pas ; elle grandira, elle sentira ses forces, elle nous les fera sentir ; elle aspirera à nous remplacer, à nous déprimer, à nous effacer, à nous avilir, et tout cela aura été l’œuvre anti-française, anti-nationale, je pourrais dire anti-napoléonienne, des gens que vous savez[2]. » Les révolutionnaires du dedans faisaient écho et vociféraient : « Après le Mexique, Sadowa ; il n’y a qu’à renverser au plus tôt un souverain capable d’une telle éclipse de prévoyance patriotique. »

Les amis de l’Empire, presque tous conservateurs imbus des anciennes maximes, n’étaient pas moins mécontens. Les plus prudens et les plus dévoués levaient les bras et les yeux au ciel avec un gémissement. D’autres s’exprimaient véhémentement. Avant Prévost-Paradol, le maréchal Randon avait dit : « C’est la France qui a été vaincue à Sadowa. » Il n’était même pas rare d’entendre des propos tels que ceux-ci : « Les traités de 1815 offraient, au moins, cet avantage pour nous de constituer sur nos frontières une mosaïque de petits États qui non seulement ne pouvaient nous porter aucun ombrage, mais formaient, par leur morcellement et leur diversité, une ceinture de protection. L’Empire, de ses propres mains, a créé une puissante militaire de premier ordre, rivale déjà de la France, et bientôt son ennemie

  1. Correspondance.
  2. Lettre du 21 juillet 1866.