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certain désordre avec des blessés : « Je ne suis pas habitué, leur dit-il, à voir mes bataillons revenir du feu en cet état d’affaissement. » Ils se reformèrent aussitôt, mais ne purent pas avancer.

Néanmoins, personne ne songea à la retraite : au contraire, Moltke se raffermit en appelant sur la rive gauche les deux divisions laissées en réserve sur la rive droite et fit mettre l’artillerie disponible en position sur le Rokos-Berg. Les nouveaux arrivés tentèrent de s’avancer au-delà des abris. Ils n’y réussirent pas plus que leurs devanciers, et furent rejetés. Leur artillerie les secondait assez mal, se portant sans ordre sur les positions, s’y plaçant pêle-mêle, agissant sans entente, allant chercher au-delà du pont ses caissons de réserve laissés en arrière[1].

La division Fransecky, maîtresse du bois de Swiep, n’eût pu en sortir, ni même s’y tenir, si Festetics s’était contenté de la couvrir du feu des batteries de Maslowed. Ne sachant guère pourquoi il était là plutôt qu’ailleurs, le commandant du IVe corps se laissa emporter à la tentation de chasser Fransecky de son bois afin de tourner par-là le flanc droit de l’armée de Frédéric-Charles. Il quitta sa position face au nord, se tourna face à l’ouest, et assaillit le bois de Swiep. La résistance qu’il rencontra le surprit. Les Prussiens, abrités derrière les arbres, par petits groupes de tirailleurs, décimaient à coup sûr ses troupes qui s’avançaient à découvert. Il s’acharna, et, successivement, mit en action toutes ses brigades. La jambe fracassée par un obus, il laissa la direction du combat à Molinari, qui le poursuivit avec une égale ardeur. Fransecky perdait du terrain ; ses rangs s’éclaircissaient : il ne se cramponnait plus qu’à un recoin appelé le Bastion. Pour en finir, coûte que coûte, Molinari appelle le IIe corps à la rescousse. Thun accourt, opérant une conversion sur sa gauche, et se mettant aussi face à l’ouest, de telle sorte que la position capitale de Horenowes ne se trouve plus à son centre, mais sur son flanc, et que la trouée entre Benatek et Racitz demeure grande ouverte, gardée seulement par neuf bataillons.

Sous cette avalanche, Fransecky fléchit. Il demande des renforts. Frédéric-Charles, auquel cet engagement avait paru prématuré, ne dégarnit pas son front et ne lui envoie que deux

  1. Brugère. L’Artillerie pendant la guerre de 1866.