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Si le Sultan a cru venir à bout de la révolte albanaise par la simple persuasion, il s’est trompé. La persuasion a peu de prises sur ces âmes rudes et violentes ; il faut d’autres argumens pour les convaincre. On pouvait, du moins, espérer que la mission envoyée par Abdul-Hamid serait reçue et renvoyée avec des honneurs qui ne tirent pas à conséquence, mais qui donnent à croire qu’à défaut d’obéissance, les sujets de Sa Hautesse ne lui marchandent pas le respect. Il n’en a rien été. La mission est actuellement prisonnière à Ipek, et les personnages qui en font partie, dont quelques-uns sont considérables, ont tout l’air d’être gardés en otages. La situation est donc très claire : les Albanais ne se soumettront qu’à la force. Le Sultan semble commencer à s’en rendre compte ; il a envoyé dans la Vieille Serbie des troupes déjà nombreuses et dont le chiffre s’accroît tous les jours. On parle de 35 000 hommes environ. Le plus sûr est d’accumuler contre les Albanais des forces qui découragent leur résistance et ne leur laissent aucun doute sur la résolution où l’on est à Constantinople de la vaincre coûte que coûte. Le Sultan aura quelque mérite, s’il prend ce parti. Il a toujours ménagé les Albanais, et leur a confié la garde de sa personne à Yildiz Kiosk ; il doit lui en coûter de manquer à ce qui a été jusqu’ici un des principes de sa politique. Mais il peut voir où cette politique l’a conduit : il n’est plus le maître de faire des réformes dans son empire, même des réformes à l’eau de rose. C’est un état de choses qui ne peut pas se prolonger. Heureusement, tout le monde le reconnaît, et l’union des puissances parait être complète à cet égard. On a considéré que, les deux plus intéressées à la paix dans les Balkans étant la Russie et l’Autriche, il convenait de leur laisser l’initiative des mesures à prendre et des démonstrations à faire. Elles viennent de témoigner une fois de plus de leur parfaite intelligence par la démarche commune que leurs deux ambassadeurs ont faite ensemble auprès d’Abdul-Hamid. Les ambassadeurs des autres puissances ont agi ensuite individuellement, et tous dans le même sens. Jamais il n’a été plus nécessaire au Sultan de faire preuve d’énergie ; mais il faut dire aussi que, dans une situation à coup sûr difficile, jamais son action ne lui a été plus facilitée par la sincérité de la diplomatie européenne. Il peut faire beaucoup pour imposer l’apaisement, sans rencontrer la mauvaise volonté d’aucune puissance. La Russie, qui a été dans d’autres circonstances l’élément révolutionnaire des Balkans, y est aujourd’hui l’élément conservateur. Elle ne veut pas d’affaires ; elle n’en veut à aucun prix ; l’Autriche n’en veut pas davantage, et c’est la meilleure garantie pour le Sultan, s’il fait preuve de quelque