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même avec la constitution actuelle, le Président pourrait faire davantage, s’il le voulait fortement. Vous verrez qu’un jour on la révisera comme insuffisante, sans l’avoir intégralement appliquée et sans avoir usé de toutes ses ressources. Il est vrai que M. Loubet, protestant contre l’ « inépuisable bonté » qu’un orateur lui a prêtée, a déclaré qu’elle avait des bornes et a qualifié d’ « esprits chagrins » ceux qui se le représentent comme un homme prêt à tout faire et à tout signer. « Je ne fais pas tout et je ne signe pas tout, » a-t-il dit. Sans doute ; mais il signe bien des choses ! On lui saurait plus de gré de ce qu’il ne signe pas, si on le savait ; sa mauvaise chance veut qu’on ne sache que ce qu’il signe. Il a raison de taire les dissentimens qu’il peut avoir avec ses ministres, lorsque ceux-ci finissent par lui céder ; pourquoi faut-il que nous ne connaissions trop souvent les actes auxquels il participe par sa signature que lorsque c’est lui qui a cédé à ses ministres ? Cela le met dans une situation fausse, dont on ne s’aperçoit jamais si bien que lorsqu’il parle en pleine liberté. Il l’a fait une première fois lorsqu’il est parti pour la Russie, et surtout lorsqu’il en est revenu. Le succès de son voyage l’inclinait à des pensées généreuses et l’encourageait à les exprimer. Il a parlé alors d’apaisement et de concorde : son ministère a répondu par une politique de persécution et de division. Aujourd’hui, de même. Jamais M. Loubet n’avait été mieux inspiré que dans son discours d’Oran. On venait de lui présenter des colons, fils de proscrits de l’Empire. « C’est une bonne graine que la graine des proscrits, s’est-il écrié : elle prospère toujours tôt ou tard. C’est la condamnation des proscripteurs. Ne proscrivons jamais personne ; ne soyons pas des proscripteurs. Les frères ne doivent jamais proscrire leurs frères, même si des divergences existent entre eux. Nous pouvons tous nous tromper et on ne fera jamais un appel à l’union sans qu’il soit entendu : sinon, nous ne serions pas digne du beau nom de Français. » Ne croirait-on pas lire quelque page, d’un nouvel Évangile ? Que la France serait différente de ce qu’elle est, si la politique de son gouvernement était d’accord avec les intentions de M. Loubet !

Naturellement, la presse modérée s’est emparée de ce langage, et naturellement aussi la presse radicale et socialiste en a ressenti d’abord quelque embarras. Elle a exprimé le regret que l’orateur d’Oran eût prêté à une équivoque par des discours un peu inconsidérés ; mais elle n’a pas tardé à reprendre son assurance et son aplomb habituels, et à donner des harangues présidentielles un commentaire qui en enlevait tout le venin. A l’entendre, M. Loubet avait condamné