Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/205

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

imposent les circonstances, au moment même où ses compatriotes meurent sur les champs de bataille.

Et puis, brusquement, il revient à Henriette, la jeune fille sémillante et légère qui a ensorcelé moins son cœur que son imagination. Le patriote et l’amoureux se livrent dans l’âme de Krasinski de terribles combats. Tous deux se font de singulières illusions.


Mon père a fait une faute grave, terrible ; ce n’est point à moi à lui en demander compte : la Pologne va être libre et grande ; moi, je vais être misérable et méprisé… Le sacrifice est grand ! il ne retentira pas sur la terre, mais il retentira dans les cieux aux pieds du trône du Fils de l’homme.


Et un peu plus loin :


Elle renaîtra, cette belle Pologne, et tous ses enfans se réjouiront dans les rayons de sa splendeur, hors un seul. (Lettre du 12 juin 1831.)


Il ne peut se décider à croire que son père ne se décidera pas à entrer dans la lutte et à lui permettre de combattre à ses côtés (12 juillet 1831). Il a parfois de prodigieuses trouvailles de style. Celle-ci, par exemple, dans une lettre, peu intéressante d’ailleurs, datée du 27 juillet : « Mon orgueil est un pavillon déchiré qui bat au bout d’une vergue. » Et plus loin :


Il faut se faire un monde à soi en soi, il faut se mesurer avec le destin, entrer en champ clos avec lui, le suivre pas à pas dans son vol pesant et oppressif, lui opposer partout un courage d’athlète. (Lettre du 12 septembre.)


L’occasion semblait venir de se mesurer avec le destin, — non pas, il est vrai, sur les champs de bataille. Le choléra s’avançait en Europe. Krasinski rêvait d’une mort prochaine, mais il n’était point destiné à succomber au fléau. Dans la Bibliothèque universelle de novembre 1831, il avait publié sous ce titre : Une étoile, une sorte de poème en prose, où il racontait, sous une forme allégorique, les destinées de sa patrie et prédisait sa résurrection.


… C’était une jeune comète, échevelée, flamboyante, indomptable, effrénée ; elle s’élança d’un bout du ciel à l’autre, sans compter ses années de marche, sans compter les myriades d’obstacles, ne voyant, n’adorant que son but et poursuivant ses fins.

Quoique belle et fraîche, elle ne rallia personne à sa cause ; pas une de