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dès le 26, le 27 au plus tard, pourrait avoir passé l’Iser et se trouver à Gitschin ou à proximité.

Ces calculs ne manquaient pas de probabilité : ils restaient néanmoins hypothétiques, susceptibles d’être dérangés par un des innombrables à-coups qui surgissent à la guerre. Une opération dont l’issue heureuse ou malheureuse dépend de quelques heures est fort risquée. Mais, dans ce cas, elle était nécessaire. Moltke était libre, à la fin de mai, de ne pas disposer son armée en deux masses séparées : cette division opérée et aggravée par la marche du Prince royal vers la Neisse, il était condamné à essayer de réparer son imprudence primitive par une nouvelle imprudence. Blâmât-on sa première résolution, on ne saurait qu’approuver la seconde, car ce n’est point par la timidité qu’on se tire d’un pas critique. « Le plus mauvais parti à la guerre est le plus pusillanime ou, si on veut, le plus prudent : la vraie sagesse pour un général est dans une détermination énergique[1]. »

Le 22 juin, Moltke télégraphia au prince Frédéric-Charles, par ordre de S. M. le Roi : « Les deux armées entreront en Bohême et prendront leurs mesures pour se concentrer vers Gitschin. » Dans des instructions de détail, il dit : « La 2e armée est la plus faible, et c’est à elle qu’incombe la tâche la plus difficile, puisqu’elle doit déboucher des montagnes : donc, dès que la 1re année aura effectué sa jonction avec le corps Herwarth, elle devra redoubler d’efforts pour hâter son mouvement en avant. » Il disait encore (et ici se révèle l’instinct supérieur de l’homme de guerre) : » L’essentiel, c’est la réunion des deux armées où les circonstances le permettront. J’ai indiqué Gitschin à cause des facilités que donnent les routes et les voies ferrées ; mais cela ne veut pas dire qu’il faille quand même y arriver. L’essentiel n’est pas qu’on se réunisse là, mais qu’on se réunisse quelque part. »

La double marche commandée par Moltke au prince Frédéric-Charles et au Prince royal s’exécuta avec précision. Le 23 juin, le prince Frédéric-Charles entre en Bohême en six colonnes et s’arrête à Reichenberg pour attendre l’armée de l’Elbe. Le 25, les deux armées prussiennes réunies occupent Turnau abandonné et s’avancent sur Podol.

  1. Napoléon Ier.