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plus intéressans. Il ne reste donc plus que les polémiques banales, et elles s’élèvent à un diapason si élevé que le lecteur non prévenu serait volontiers tenté de prendre la colonie entière pour un véritable bagne. Si, dans quelques siècles, un disciple de Taine, entreprenant une histoire de l’Algérie, vient à dépouiller les journaux de notre temps, il sera stupéfait du nombre de hauts fonctionnaires qui sont des assassins, des brigands, des concussionnaires, des faussaires ou des voleurs. L’usage d’épithètes aussi imagées est trop généralement répandu pour que le public algérien y attache de l’importance, et elles perdent toute valeur, lorsque, de temps en temps, on les applique à juste titre. Ce n’est pas l’un des moindres inconvéniens de ces violences que de décourager les gens honnêtes, ennemis des polémiques, tandis qu’elles frappent les misérables sans les atteindre ni les arrêter. Au lieu de contribuer à signaler les abus, si nombreux encore, hélas ! dans la colonie, la presse, par son exagération et son manque de discernement, n’arrive parfois qu’à élever un piédestal à ceux qui montrent le plus de cynisme. Cette influence est déplorable dans les centres de colonisation ; jetés en pâture à des colons parfois peu instruits, mais dont le rude labeur déploie sans cesse les ressorts de l’énergie, les journaux locaux les conduisent à dépenser leurs qualités naturelles en récriminations acerbes ou peu fondées ; ils les exaltent dans un pays où le soleil et le climat surexcitent déjà trop les esprits, et, l’absinthe aidant, les retiennent plus que de raison autour des tables de café. Vivant dans cette atmosphère surchauffée,


L’Afrique au sol d’airain qu’un ciel brûlant calcine,


le colon lui aussi, tout comme l’Arabe son ennemi, finit par prendre le goût des discours, des hyperboles et des théories creuses dont il n’aperçoit pas toujours les conséquences.

Le plus grand service que pourrait rendre la presse algérienne au pays serait de revenir à la modération. Qu’elle cesse de se laisser emporter par une verve intempestive ; qu’elle laboure consciencieusement son champ, comme ces vigoureux pionniers de la civilisation qui peuplent la colonie ; qu’elle signale impitoyablement les abus réels et non les crimes imaginaires ; qu’elle s’instruise avant de- prétendre instruire les autres ; et sa tâche, pour être moins bruyante, n’en sera que plus grande et plus féconde.