Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 15.djvu/117

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Le coup portait, et répondre eût été malaisé. Pusey se borna à se plaindre que « certains catholiques romains, au lieu de s’attrister de ce qui affaiblissait l’Eglise d’Angleterre, le grand boulevard du christianisme contre l’infidélité dans cette contrée, parussent se réjouir et triompher de cette victoire de Satan. »

Les expressions mêmes dont se servait Pusey prouvent qu’il gardait toujours aussi vif le sentiment du mal fait à son Église par les incidens de cette crise. C’est ce sentiment qui l’avait fait se jeter avec tant d’ardeur dans la bataille. A ne voir que la situation du moment, il y avait gagné de mettre lin aux suspicions dont, depuis les conversions de Newman et de Manning, il était l’objet de la part de beaucoup de ses coreligionnaires ; désormais, il était accepté par tous, même par ses anciens ennemis les evangelicals, comme l’un des champions les plus autorisés de la foi anglicane. Mais, si l’on veut apprécier sa conduite autrement que par l’effet immédiat, si l’on prétend considérer les choses d’un peu plus loin, comme peut le faire l’historien, n’y aura-t-il pas quelques réserves à faire ? On ne s’étonne pas, sans doute, que Pusey ait vu, dans les publications des Essayists et de Colenso, une atteinte grave aux vérités chrétiennes, et l’on comprend son émotion. Toutefois, force est de reconnaître que, sous le coup de cette émotion, il a paru combattre et repousser non seulement les témérités de ces écrivains, mais la critique biblique tout entière, même dans ses découvertes aujourd’hui reconnues incontestables. Il eût été évidemment plus sage, plus prévoyant, en même temps que l’on réprouvait les erreurs, d’indiquer qu’on ne refusait pas de faire à cette science nouvelle sa part légitime. Mais ce sont des distinctions que les conservateurs religieux font rarement en pareil cas. Ils n’y arrivent d’ordinaire que plus tard, après avoir reçu des événemens quelques leçons parfois mortifiantes. Au premier moment, placés en face de nouveautés qui les inquiètent et les irritent, ils sont surtout frappés du mal qu’elles peuvent contenir ; cela suffit à leur rendre l’ensemble suspect, et ils repoussent tout, pêle-mêle, un peu à l’aveugle. Ce n’est pas seulement dans l’anglicanisme que les choses se passent ainsi, et, à nous regarder nous-mêmes, nous n’avons pas le droit d’être bien sévères envers Pusey et ses amis.


PAUL THUREAU-DANGIN.