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chargé. Elle a affirmé que l’affaire Dreyfus ne devait pas sortir du terrain judiciaire, ce qui était exprimer le regret qu’elle eût été portée de nouveau sur le terrain parlementaire et condamner qu’on la portât sur le terrain administratif. Quant à l’idée de charger une commission mixte, composée de fonctionnaires et de magistrats de faire de nouvelles recherches, M. Ribot l’a traitée comme elle méritait de l’être : il a mis en doute qu’on trouvât des magistrats, pour faire la moitié de besogne qu’on se proposait de leur confier. M. le président du Conseil, prenant la parole pour s’expliquer, a dit tout d’abord qu’il regrettait de n’être pas jurisconsulte ; — mais, encore une fois, où était donc M. le garde des Sceaux ? — puis il a révélé à la Chambre de plus en plus stupéfaite l’existence d’un dossier assez semblable à la boîte de Pandore. Qu’en sortira-t-il si on l’ouvre ? « Il s’agit, a continué M. Combes, d’un dossier secret que M. le ministre de la Guerre ne connaît pas, dont il n’a jamais vu aucune pièce, à propos duquel il est exposé d’un jour à l’autre à des attaques qu’il ne peut pas réfuter. Ce dossier a été scellé par un magistrat de la Cour de cassation ; c’est en présence de ce magistrat, aidé de quelques autres, qu’il pourrait ouvrir ce dossier, examiner et cataloguer les pièces ; si besoin en était aussi pour couvrir sa responsabilité et n’être pas accusé, comme cela ne saurait manquer de se produire, soit d’avoir soustrait des pièces à ce dossier, soit d’en avoir introduit de nouvelles. » Tout cela est de plus en plus étrange, et témoigne, de la part du gouvernement, d’une grande humilité et d’une extrême défiance. Il se sent par avance suspect, et demande pour le surveiller et le cautionner des magistrats de la Cour de cassation. Mais quis custodiat custodes ipsos ? Qui surveillera et cautionnera les magistrats ? Le ministre de la Guerre apparemment, comme l’a dit M. Ribot. Jamais gouvernement ne s’était fait plus petit, et jamais non plus il n’avait apporté autant de précautions puériles dans la pire des imprudences. Si la Cour de cassation a réuni sous enveloppe scellée un certain nombre de pièces, c’est assurément parce qu’elle a jugé qu’elles ne devaient pas figurer au procès. Va-t-on lui demander de se déjuger, ou à quelques-uns de ses membres de désavouer les autres ? Il y a dans cette curiosité téméraire et malsaine, qui mêle l’administration à la justice, et donne à la politique le pas sur l’une et sur l’autre, quelque chose qu’on ne saurait trop sévèrement blâmer Aussi la Chambre n’a-t-elle pas voulu y engager sa responsabilité. Elle a maintenu sa confiance au gouvernement, mais en lui interdisant de faire ce qu’il voulait faire. L’opposition est absolue, la contradiction formelle entre l’enquête administrative dont M. le