Page:Revue des Deux Mondes - 1903 - tome 14.djvu/949

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

M. De Schulthess ne manque point de protester contre un pareil abus de la tolérance), il allait jusqu’à reconnaître une certaine valeur religieuse aux croix, aux rosaires, aux images de la Vierge et des saints. « Que celui-là soit maudit, s’écriait-il, qui appelle idolâtrie un culte ayant pour objet le Christ ! » On comprend qu’un christianisme comme celui-là ait exposé Lavater, sa vie durant, à la haine et au mépris des « libres penseurs » de l’école de Berlin !


Il a fini par lui valoir aussi, après plusieurs années d’une respectueuse amitié, la haine et le mépris du poète de Faust ; et je ne crois pas que la longue carrière de celui-ci ait à nous offrir un épisode plus curieux que l’histoire de ses relations avec Lavater, telle que nous la rappelle M. Henri Funck, dans un autre chapitre du même recueil.

Dès le moment où, en 1773, il lui envoyait un exemplaire de son Gœtz de Berlichingen, Goethe se sentait évidemment attiré vers le théologien zurichois. Le fait est que cet envoi fut le point de départ d’une correspondance suivie, où les deux jeunes gens (Lavater avait trente-deux ans, Gœthe vingt-cinq) échangeaient librement leurs rêves, avec toutes les marques d’une estime réciproque sans cesse plus vive. En 1774, ils se rencontrèrent à Francfort, et firent ensemble un séjour à Ems ; puis Gœthe alla passer quelques semaines à Zurich, chez son ami. Il y retourna encore quatre ans plus tard, cette fois en compagnie de son maître le grand-duc de Weimar, à qui il avait, depuis longtemps déjà, présenté Lavater. Ce fut lui qui corrigea les épreuves des Fragmens Physiognomoniques, où Lavater, d’ailleurs, le proclamait le type le plus parfait de l’homme de génie. Et que l’on ne s’imagine pas que, dans cette amitié, Gœthe se soit simplement laissé admirer et aimer par son exubérant ami ! Il l’a lui-même admiré et aimé avec une ardeur extraordinaire, et peu d’hommes ont exercé sur lui une action plus profonde. « Le commerce de Lavater est, pour le grand-duc et pour moi, le principal événement de tout notre voyage, — écrit-il à Mme de Stein en 1770. — L’excellence de cet homme, aucune parole ne saurait l’exprimer. Il est le plus grand, le meilleur, le plus sage, le plus Intérieur, de tous les hommes mortels et immortels que j’aie jamais connus. » Et, dans une autre lettre : « Lavater continue à être un soutien pour nous… La vérité est toujours chose nouvelle, et toutes les fois qu’on revoit un homme d’une vérité aussi entière, on a l’impression de renaître au monde. » A son ami Knebel il écrit : « Lavater est et reste un homme unique. Nulle autre part, en Israël ni parmi les païens, je n’ai trouvé autant de vérité, d’amour, de foi,