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le nombre et la variété des litiges entre Européens ou indigènes exigent des connaissances et une maturité de jugement assez rares chez un débutant. Viennent-ils de France, ils ignorent la langue et les mœurs du pays ; originaires d’Algérie, ils ne sont pas toujours exempts de certains préjugés locaux. Bref, ils doivent réunir des qualités qu’une forte éducation judiciaire peut seule donner, et cette éducation leur fait trop souvent défaut.

En ce qui concerne les indigènes, l’organisation de la justice est plus compliquée. Dans le territoire militaire, les cadis jugent les affaires civiles ; les officiers des affaires indigènes et les caïds ou aghas répriment certaines contraventions ; les commissions disciplinaires, certains délits ; le conseil de guerre, les crimes. En territoire civil, les rouages sont plus nombreux. La répression s’exerce d’abord par l’intermédiaire des juges de paix dans les communes de plein exercice et des administrateurs dans les communes mixtes, pour toutes les contraventions comprises dans le Code de l’indigénat, par les tribunaux correctionnels pour les délits, par les Cours d’assises pour les crimes. En matière civile, le juge européen est seul compétent à tous les degrés dans les contestations où l’une des parties est européenne ; il l’est également entre indigènes lorsqu’il s’agit de certains litiges importais dont on tient de plus en plus à étendre la nomenclature ; le cadi juge toutes les autres affaires.

Il est difficile d’imaginer quelque chose de plus incohérent que notre justice répressive à l’égard des indigènes. Tantôt, en effet, nous leur appliquons nos lois, tantôt des lois spéciales, sans qu’aucun principe supérieur se fasse jour dans ce fatras législatif. C’est une vérité de bon sens que les lois doivent être façonnées sur l’état social des populations : aussi voit-on peu à peu s’adoucir la répression à mesure que les peuples se civilisent. Il y a loin de la loi du talion aux codes de nos jours : trop barbare, la loi répressive nous fait horreur ; trop bénigne, elle perd toute efficacité. C’est ainsi que nous ne pouvons admettre les cruautés de la loi arabe et que l’indigène ne comprend ni certaines pénalités, ni la modération de nos codes qu’il taxe de faiblesse. Sans entrer dans l’étude approfondie des peines d’après les coutumes indigènes, il est nécessaire de faire ressortir combien la conception de la gravité des actes est différente suivant l’état social d’un peuple. L’assassinat n’est point, dans les mœurs arabes, le plus grand des crimes, car le mépris de la vie humaine y est devenu