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Il n’y a aucune exagération à soutenir qu’en ce pays, l’administration préfectorale n’existe pas ; c’est un rouage dispendieux et compliqué qui fonctionne au profit du parti dominant dans le département et souvent contre le gouvernement général lui-même. Il n’en saurait être autrement. Une préfecture devient-elle vacante en Algérie, on y nomme un préfet de France, mais ici la tâche est complexe ; il ne s’agit pas seulement de prononcer des discours, de faire des élections, de nommer des cantonniers ou des facteurs ; il faut gouverner au moins un million d’indigènes, et donner une impulsion à tous les services publics qui se meuvent en France par la force de l’habitude. Il faut, dans ce pays neuf, se tracer, pour chaque branche d’administration, une ligne de conduite, — plan de colonisation, plan de travaux publics, plan financier, — sans laquelle on s’agite dans le vide ; il faut enfin, et c’est là un des points les plus délicats, connaître les mœurs indigènes, l’esprit des populations musulmanes, bref, faire avec eux de véritable politique et non une politique de politiciens. Or, combien peut-on actuellement trouver, dans l’administration préfectorale, d’hommes joignant à de solides connaissances générales l’ensemble des qualités nécessaires pour mener à bien une tâche si complexe ? L’autorité militaire, dont le niveau intellectuel était sensiblement égal à celui de l’administration civile, obtenait en matière indigène de meilleurs résultats, grâce à la discipline des bureaux, à leur travail plus méthodique, à une connaissance beaucoup plus parfaite de l’esprit et de la langue des populations et à une plus grande indépendance. A défaut de notions administratives très étendues, le service des affaires indigènes possédait une grande expérience du pays où ses membres passaient la majeure partie de leur carrière. Il est juste d’ailleurs de reconnaître que depuis la substitution du régime civil au régime militaire, dans la plus importante partie du pays, toutes choses se sont singulièrement compliquées ; la colonisation a pris une extension plus grande de jour en jour, des voies de communication ont été ouvertes, un nombreux personnel civil a été créé ; l’autorité militaire n’était donc plus en mesure de diriger un organisme aussi délicat. Mais a-t-on fait subira l’organisation civile les modifications que comportait cette transformation ? On peut sans hésiter se prononcer pour la négative.

L’Algérie, par suite de la manière même dont s’est opérée la