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réduits au strict nécessaire par le fait du petit nombre d’Européens qui y séjournent, et de l’emploi de militaires dans le service des bureaux. La grande ressource de ces communes est fournie par les prestations et les corvées qui, bien qu’on ait soutenu que la corvée avait disparu, subsistent encore dans plusieurs localités. Elle doit être appliquée à l’entretien des pistes, des caravansérails, aux sondages, etc., et autant qu’il est permis de s’en rendre compte, elle l’est effectivement dans la plupart des circonscriptions. La discrétion traditionnelle de l’autorité militaire n’a pas cependant empêché le public d’avoir une connaissance assez vague de certains abus révélés à diverses reprises. C’est là une regrettable erreur : en ne frappant pas immédiatement les coupables, en cherchant à étouffer certaines affaires et à les soustraire à leurs juges naturels, on a laissé planer sur l’ensemble des bureaux arabes des soupçons immérités, on les a exposés à des attaques injustes et passionnées qui, toutes proportions gardées, ressemblaient à celles auxquelles ont donné naissance, il y a près de quarante ans, les malheureuses affaires Doineau et Cériziat.

L’habitude de vivre au milieu de populations rusées dont il faut chercher à pénétrer les véritables sentimens à travers le mensonge de formules emphatiques, l’observation constante du pays et des hommes donnent à certains officiers des affaires indigènes une surprenante perspicacité. C’est un véritable plaisir pour l’observateur de rencontrer dans nos postes de l’extrême sud des hommes doués de remarquables qualités intellectuelles, patiemment cultivées et amplifiées par la lecture et les longues réflexions que permet la solitude. Malheureusement toute médaille à son revers : la trop grande finesse, l’excessive diplomatie conduisent parfois d’une manière insensible les esprits les plus loyaux à une sorte de duplicité, l’autorité absolue les amène au mépris de toute règle, de toute volonté autre que la leur. De là des défaillances morales incompréhensibles, qui, dans le public et même dans l’armée, ont entretenu des préventions à l’égard des bureaux arabes. On a enfin reconnu que si la finesse est de mise avec les indigènes, la conduite la plus habile en matière administrative est encore la franchise et peu à peu disparaissent d’anciennes pratiques que personne ne regrettera.

Pour juger un régime, il faut bien, en définitive, tenir compte de l’opinion de ceux qui le subissent, et il est juste de