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grand cabinet où elle trouva Monseigneur qui attendait son fils. La maréchale d’Estrées « folle et étourdie et en possession de dire tout ce qu’il lui passoit par la tête, se mit à attaquer Monseigneur sur ce qu’il attendoit son fils si tranquillement au lieu d’aller lui-même l’embrasser. Monseigneur répondit fort sèchement que ce n’étoit pas à lui à aller chercher le Duc de Bourgogne, mais au Duc de Bourgogne à le venir trouver. Il vint enfin. La réception fut bonne, mais elle n’égala pas celle du Roi, à beaucoup près. »

On passa souper. Vers l’entremets, arriva le duc de Berry. L’accueil que lui fit le Roi fut un peu plus tendre et plus flatteur que celui fait au Duc de Bourgogne ; il voulait ainsi marquer les nuances, car le jeune prince, qui n’avait point de responsabilités, avait bien fait à l’armée et s’était rendu populaire. Aussi « à celui-ci tous les cœurs s’épanouirent » et l’assistance le courtisa. La Duchesse de Bourgogne, qui avait de l’amitié pour lui, lui avait même fait préparer « chez elle un souper « que l’empressement conjugal de Mgr le Duc de Bourgogne abrégea un peu trop, » dit Saint-Simon[1]. Les deux époux eurent jusqu’au lendemain pour causer.

Ainsi cette première et périlleuse journée, tant redoutée de ceux qui étaient demeurés fidèles au Duc de Bourgogne, s’était passée sans encombre. L’accueil du Roi avait pu être réservé, mais il n’avait rien qui fît prévoir une disgrâce. Les choses ne pouvaient cependant en rester là. Il était nécessaire que le Duc de Bourgogne rendît compte de sa campagne ; c’est ce qu’il fit dans une longue audience de trois heures que, le jeudi suivant, le Roi lui accorda. Il en transpira peu de chose, car tous deux étaient fort secrets ; mais nous possédons le billet que, tout ému, au sortir de cette audience, le Duc de Bourgogne adressait à Beauvilliers pour le rassurer. « Je suis très content, lui écrivait-il à neuf heures du soir, de l’audience que le Roi vient de me donner, et j’ai lieu de le croire content de moi. J’ai suivi vos avertissemens. J’ai avoué mes fautes et parlé librement. Il m’a témoigné beaucoup de tendresse, et j’en suis touché. J’ai cru vous devoir dire cela avant de vous coucher, et que cela vous feroit passer une bonne nuit. Il ne me paroit même pas éloigné de me faire resservir. J’ose même assurer que je servirai si j’en ai envie, ce qui est certainement[2]. »

  1. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XVI, 412-475.
  2. Le Duc de Bourgogne, etc., p. 341.