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conclura qu’il n’a plus rien à espérer de vous, et qu’après avoir été faible à l’armée aux dépens de votre réputation, vous ne songez pas même à la relever à la Cour. On vous verra vous renfoncer dans votre cabinet et dans la société d’un certain nombre de femmes flatteuses. Le public vous aime encore assez pour désirer un coup qui vous relève ; mais, si ce coup manque, vous tomberez bien bas. La chose est dans vos mains. » Et il termine par ce cri de tendresse et d’angoisse : « Pardon, Monseigneur, j’écris en fou, mais ma folie vient d’un excès de zèle. Dans le besoin le plus pressant, je ne puis que prier ; c’est ce que je fais sans cesse. »

Saint-Simon craignait également « que la piété ne le retînt sur M. De Vendôme. » C’était aussi la préoccupation de Beauvilliers. Tous deux auraient bien voulu, avant que le Duc de Bourgogne abordât son grand-père, lui faire parvenir quelques bons avis. Mais l’étiquette ne permettait pas que, le jour de son arrivée à Versailles, il vît personne avant le Roi, pas même sa femme. Aussi agitaient-ils entre eux divers1 projets dont on trouve trace dans Saint-Simon et dans la correspondance du Duc de Bourgogne avec Beauvilliers. Le Duc de Bourgogne aurait souhaité que la Duchesse de Bourgogne vînt au-devant de lui, à trois ou quatre lieues de Versailles. Elle-même en avait l’idée. Mais le Duc de Bourgogne lui conseillait « de n’en point parler auparavant et de le faire comme à l’improviste[1]. » Saint-Simon était d’avis que le Duc de Bourgogne calculât sa marche de façon à n’arriver que vers une ou deux heures du matin, quand le Roi serait couché. Mais tous ces projets échouèrent. La Duchesse de Bourgogne fut empochée, par quelques raisons que nous ne savons pas, de se porter au-devant de son mari, et le Duc de Bourgogne, soit qu’il eût mal calculé sa marche, soit qu’il ne pût prendre sur lui de la ralentir, arriva le lundi 11 décembre, à sept heures du soir, une heure avant le souper du Roi. Beauvilliers vint le recevoir à la descente de sa chaise. Saint-Simon, qui le guettait par la fenêtre, se précipita au-devant de lui. Quelques courtisans l’accompagnèrent pendant qu’il gravissait le grand escalier. Ces deux amis fidèles ne purent rien lui dire, et il lui fallut aborder le Roi sans savoir quel accueil il recevrait. Mais c’était mal connaître le majestueux monarque, toujours si maître de lui, si mesuré dans l’expression de ses sentimens, de croire qu’il était

  1. Le Duc de Bourgogne, etc., p. 339.