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A l’insulte, elle joignait la calomnie, feignant de redouter de sa part des vengeances dont il était incapable :


L’on nous dit que le Bourguignon
Revient avec peu de renom.
Prenons garde qu’il ne nous morde.
Il seroit sans miséricorde,
Car il est dévot et poltron[1].


Prêter de pareils sentimens au Duc de Bourgogne, c’était le bien mal comprendre. Ceux qui le connaissaient mieux ne s’y trompaient pas, et leur préoccupation était tout autre. Ils craignaient, au contraire, qu’il ne se fît scrupule, pour se défendre, de charger Vendôme, et que la charité chrétienne ne l’emportât sur le sentiment personnel. « Rien n’est plus digne de vous, Monseigneur, lui écrivait Fénelon, que votre disposition qui est de pardonner tout, de profiter même de la critique dans tous les points où elle peut avoir quelques petits fondemens, et de continuer à faire ce que vous croyez le meilleur pour le service du Roi[2]. » Mais il ne veut pas que cette disposition l’emporte chez lui au point qu’il ne tente pas de se justifier en attaquant les autres. Dans une longue lettre du 17 novembre, il lui trace un plan de conduite pour le moment de son retour à la Cour qui sera « une crise. » En parlant au Roi, il devra « commencer par une confession humble et ingénue, » des fautes qu’il a pu commettre. Fénelon en fait la longue énumération avec une rigueur dont un autre que celui auquel il s’adressait aurait pu se blesser. Mais, cette confession faite, il faut que le Duc de Bourgogne s’exprime librement sur le compte de Vendôme et place « un portrait au naturel de ses défauts : paresseux, inappliqué, présomptueux et opiniâtre. Il ne va rien voir, il n’écoute rien ; il décide et hasarde de tout ; nulle prévoyance, nul avisement, nulle disposition, nulle ressource dans les occasions qu’un courage impétueux, nul égard pour les gens de mérite, et une inaction perpétuelle de corps et d’esprit. » Et Fénelon poursuit : « Une conversation forte, vive, noble et pressante, quoique soumise et respectueuse, vous fera un honneur infini dans l’esprit du Roi et de toute l’Europe. Au contraire, si vous parlez d’un ton timide et inefficace, le monde entier, qui attend ce moment décisif,

  1. Nouveau siècle de Louis XIV, t. III, p. 303.
  2. Fénelon. Édition de Saint-Sulpice, t. VII, p. 283.