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qui ne laissent pas quelquefois de porter de grave préjudice comme Vostre Majesté le voit en cette occasion ; » et il avait l’audace d’ajouter : « Du reste, vous sçavez bien, Sire, que je n’ay point esté d’avis de garder l’Escaut… Je suys bien ayse de faire souvenir Vostre Majesté de tout cecy, pour luy faire voir que mes avis n’ont pas été suivis. M. De Chamillart en est témoin[1]. »

De quelque côté que fût la responsabilité, la campagne n’en était pas moins finie et d’une façon désastreuse. Tous les plans, quels qu’ils fussent, aussi bien celui de la défensive que celui de l’offensive, avaient échoué. Marlborough était entré triomphalement à Bruxelles, et en avait fait lever le siège. L’Electeur de Bavière s’était replié précipitamment sur Mons, emmenant avec lui les renforts qui lui avaient été envoyés. Le reste de l’armée française était coupé en deux, partie étant demeurée entre Gand et Bruges, et partie ayant été rejetée sur Tournay. Il n’y avait plus rien à tenter, et il ne fallait plus se préoccuper que d’éviter un désastre. Louis XIV en eut le sentiment très net et il prit son parti. Déjà quelques jours auparavant, dans une dépêche du 19 novembre, il avait parlé de séparer l’armée, et de renvoyer dans ses quartiers d’hiver. Vendôme avait protesté auprès de Chamillart, en disant que « rien ne seroit plus pernicieux au service de Sa Majesté, et qu’on avoit plus beau jeu qu’on n’auroit la campagne prochaine[2]. » Le Roi n’avait pas insisté. Mais au lendemain du passage de l’Escaut, il envoya des ordres sans réplique, qu’il accompagnait de cette observation : « Il eust été à désirer que mon armée eust été séparée d’une manière plus honorable, et qu’elle ne se fust pas retirée comme si elle s’étoit débandée. » Mais il n’ajoutait pas d’autres reproches, et au Duc de Bourgogne il écrivait : « Lorsque vous aurez connu par vous-même et avec le duc de Vendôme qu’il n’y a rien à faire avant que de vous séparer, vous reviendrez ici où je serai bien aise de vous revoir. Il auroit esté à désirer que vous eussiez eu plus d’agrément dans le cours de la campagne pendant laquelle je suis persuadé que vous avez cherché toutes les occasions d’estre utile à l’Etat et de le servir[3]. » Vendôme, dépité, aurait voulu,

  1. Dépôt de la Guerre, 2 084. Le Duc de Bourgogne au Roi. Vendôme au Roi, 28 nov. 1708.
  2. Ibid., 2084. Vendôme au Roi, 23 nov. 1708.
  3. Ibid., 2 084. Le Roi à Vendôme et au Duc de Bourgogne, 26 novembre et 3 décembre.