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posséder au dehors des missionnaires ; nos rivaux, catholiques, protestans, orthodoxes, en ont, eux aussi, et ils ont soin de les défendre et de les protéger, voyant en eux un précieux moyen d’influence. Mais, grâce au protectorat catholique, et grâce au nombre et à l’ardeur invincible des religieux des deux sexes, qui la représentent au loin, la France a gardé sur tous ses rivaux une primauté que la politique actuelle met en péril. Ces congrégations d’hommes et de femmes, ces Pères, ces Frères, ces Sœurs au sombre costume dont des esprits timides redoutent le pullulement à l’intérieur, ils ont en effet débordé, de tous côtés, par-dessus nos frontières européennes, au delà même de nos colonies, sur tout le vaste monde. Leur foi et leur charité, leur besoin d’action et de dévouement les ont entraînés au loin, par delà les mers et les déserts, comme des conquérans ambitieux de conquérir de nouvelles provinces à la France ou à la langue française, en même temps qu’à l’Evangile.

Lorsque nous parlons de nos missions catholiques et de nos établissemens religieux du dehors, il faut se garder d’entendre uniquement les congrégations vouées à la prédication de l’Evangile chez les infidèles, comme les Pères du Saint-Esprit ou les Pères Blancs d’Afrique. Il faut avoir en vue l’ensemble de nos religieux et de nos établissemens congréganistes hors de France ; à côté des missionnaires proprement dits, il faut placer les congrégations enseignantes et les congrégations charitables. Les unes et les autres ont de nombreux établissemens au loin, et leurs séminaires, leurs collèges et leurs écoles, leurs orphelinats, leurs hôpitaux et leurs dispensaires sont presque partout de véritables foyers de l’influence française. De fait, jusque parmi les ordres voués à la prière ou aux rudes travaux de la pénitence, il est bien peu de nos congrégations d’hommes ou de femmes qui n’aient essaimé au loin et n’aient envoyé quelques-uns de leurs fils ou de leurs filles sur les rivages de l’Afrique ou de l’Asie.

Des deux formes de la vie religieuse, l’active et la contemplative, traditionnellement figurées dans les deux sœurs de Béthanie, aucune n’est demeurée étrangère à cette pieuse émigration. On dirait qu’entraînée, elle aussi, par l’exemple de sa sœur Marthe, et par le mystique désir de recruter au loin, jusque parmi les races barbares, des compagnes de prière, Marie elle-même, la contemplative, s’est lassée de demeurer, immobile en ses longs voiles, aux pieds de son Sauveur, et que, pour mieux