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ne peut attendre sans perdre l’occasion, et où personne ne peut décider que ceux qui voient les choses sur les lieux[1]. »

À ces avis si judicieux, qui enveloppent déjà de discrets reproches, le Duc de Bourgogne répond avec une douceur et une humilité désarmantes. Il pourrait s’offenser de ce que son ancien précepteur a cru si facilement qu’il pensait à quitter l’armée dans un moment critique, mais il se borne à répondre qu’il a les mêmes sentimens sur ce chapitre, et il ajoute aussitôt : « Il est vrai que j’ai essuyé une épreuve depuis quinze jours (la lettre est du 30 septembre), et je me trouve bien loin de l’avoir reçue comme je le devais, me laissant et emporter aux prospérités et abattre dans les adversités, et me laissant aussi aller à un serrement de cœur et aux noirceurs causées par les contradictions et les peines de l’incertitude et de la crainte de faire quelque chose mal à propos dans une affaire d’une conséquence aussi extrême pour l’Etat. » Il lui explique alors l’embarras où il s’est trouvé entre les ordres du Roi, lui prescrivant d’attaquer, les instances de Vendôme, et, d’autre part, l’opposition de Berwick et de tous les plus anciens officiers, disant que l’armée s’y perdrait, puis il continue : « Sur ce que vous dites de mon indécision, il est vrai que je me le reproche à moi-même, et que, quelquefois paresse ou négligence, d’autres, mauvaise honte ou respect humain ou timidité, m’empêchent de prendre des partis et de trancher net dans les choses importantes. » Il termine en demandant l’avis et presque les ordres de Fénelon sur un point qui le préoccupe depuis longtemps. L’abbaye du Saulsoy est une maison de filles, Est-il absolument mal d’y demeurer ? En ce cas, il la quitterait immédiatement, quoi que l’on en pût dire, d’autant plus qu’il est présentement dans le diocèse de Fénelon.

Quelques jours après sans doute (la lettre est de septembre, sans quantième), Fénelon lui répond. Il se réjouit d’abord des sentimens qu’il découvre dans le cœur de celui qu’on pourrait appeler son pénitent. C’est le directeur qui parle : « O que cet état plaît à Dieu ! et que vous lui déplairiez, si, possédant toute la régularité des vertus les plus éclatantes, vous jouissiez de votre force et du plaisir d’être supérieur à tous[2]… Si vous êtes fidèle à lire et à prier dans vos temps de réserve, si vous marchez pendant la journée en présence de Dieu, dans cet esprit d’amour et de

  1. Fénelon, Œuvres complètes. Édition de Saint-Sulpice, 1. VII, p. 269.
  2. Ibid., p. 270.