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En même temps, elle dépeint, avec autant de vivacité que Saint-Simon, l’état de la Cour. « Il n’y a pas une jeune femme qui ne décide sur la guerre, qui ne juge de tous les partis qu’on prend, qui ne blâme toutes les démarches qu’on fait, qui ne touche toute sorte de cordes, quelque délicates qu’elles soient et quelque respectables que soient les personnes. On passe pour collet monté quand on y trouve à redire ou qu’on donne quelques avis à celles à qui on s’intéresse. Tout est en désordre et en confusion. »

Ce désordre et cette confusion devaient s’accroître encore, car, malheureusement, les nouvelles qui continuaient d’arriver de Flandre n’étaient pas de nature à y mettre un terme.


II

L’armée du Duc de Bourgogne et de Vendôme avait donc renoncé à délivrer Lille par une attaque de vive force. Rebroussant chemin, elle avait franchi de nouveau la Marck, puis l’Escaut, et s’était allongée depuis Tournay jusqu’à Oudenarde gardant ainsi tous les passages du fleuve dont, le cours avait plus de vingt-cinq lieues, et donnant la main au corps laissé sous les ordres du comte de la Mothe, qui défendait Gand et Bruges. Le Duc de Bourgogne avait établi son quartier général à quelques lieues de Tournay, à l’abbaye du Saulsoy, où il avait une église presque à sa portée, ce qui, écrivait-il à Beauvilliers, « ne lui était pas arrivé depuis bien longtemps. » Pour l’instant il avait l’esprit en repos. Cette marche en arrière était conforme à l’avis qu’il avait toujours soutenu. « C’est Dieu, écrivait-il, à Madame de Maintenon, qui a inspiré au Roi le parti auquel il vient de se déterminer, et je crois que c’est le seul pour secourir Lille. J’espère y réussir avec la grâce de Dieu, car il paraît visiblement que les ennemis manquent de bien des choses… En vérité, le parti d’attaquer était absolument téméraire[1]. » Vendôme, réconcilié par Chamillart, en apparence du moins, avec Benvick, semblait partager cette confiance. « Rien n’est plus extraordinaire, écrivait-il à Chamillart, que celle fin de campagne. On ne peut pas prévoir ni quand, ni comment elle finira, mais on peut espérer, sans se flatter, que ce sera au contentement du Roi. Il

  1. Le Duc de Bourgogne et le Duc de Beauvilliers, par le marquis de Vogüé. p. 282.