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son courage personnel. Une chanson insultante et railleuse dont le refrain était : Quoi, vous tremblez ? circulait sous le manteau. Nous n’en citerons que ce couplet :


Aux ennemis donnez la discipline,
Faites-leur voir une humeur plus mutine ;
Car, sans cela, que vous serez honteux
Quand votre Roi, fier et majestueux,
Vous dira haut, et non à la sourdine :
Quoi, vous tremblez[1] ?


Ce qui enhardissait les ennemis du Duc de Bourgogne, c’était que son propre père semblait prendre parti contre lui. On remarquait depuis longtemps qu’il prononçait avec complaisance le nom de son second fils, le duc de Berry, qui faisait bien à l’armée, mais qu’il ne parlait jamais de l’aîné. Il en parla cependant, après le retour de Chamillart, mais ce fut pour prendre parti contre lui. Il dit une fois, à son coucher, qu’il ne le comprenait point, qu’il s’était trouvé plusieurs fois comme lui à la tête des armées, mais qu’il n’avait jamais contredit les généraux qu’il considérait comme plus capables que lui.

Le Roi lui-même semblait abandonner son petit-fils. Bien qu’il ne s’y fût point opposé et qu’il eût révoqué ses premiers ordres, la retraite devant Lille avait été pour lui une déception. Depuis la jonction de Berwick et du Duc de Bourgogne, il était tout à l’espoir. Un soir que, chez Madame de Maintenon, il remarquait l’inquiétude et la tristesse peintes sur le visage de la Duchesse de Bourgogne, il s’efforça de la rassurer : « Et les princes, vos petits-fils ? » reprit-elle vivement. — « J’en suis en peine, répondit le Roi, mais j’espère que tout ira bien[2]. » Lorsqu’il vit que tout allait mal, il ne se prononça point ouvertement, mais certaines paroles qui lui échappaient dans l’intimité et que les valets rapportaient en les grossissant, certains propos aigres tenus par lui en public témoignèrent de son mécontentement. Il ne voulait point se prononcer contre le Duc de Bourgogne, mais il ne voulait point non plus qu’on se prononçât contre Vendôme, et le prince de Conti, qui haïssait ce dernier, ayant parlé contre lui chez sa belle-sœur, le Roi le réprimanda publiquement.

  1. Nouveau siècle de Louis XIV, t. III, p. 274.
  2. Saint-Simon. Édition Boislisle, t. XVI, p. 326.